Mise à jour juin 2019
Ci contre de gauche à droite: figure 63 figure 64 figure 65 |
Chapitre XXII
Pages 162 et suivantes
« J’ai pris cette vallée comme exemple de ces lieux ombragés qui se trouvent entre les collines d’oliviers, non en raison d’une beauté particulière du paysage ou de l’abondance des fleurs sauvages mais parce qu’elle est aisément accessible depuis Nice. Le tramway à Saint Maurice est à peu de distance de l’entrée de la vallée.
On peut se demander si le nom « Vallon des Fleurs » se référait quelque peu aux fleurs, ou si c’était simplement la corruption de quelque autre mot. « Vallon » dans le patois de la région ne signifie pas tellement une dépression entre deux collines mais en réalité le lit pierreux d’un petit cours d’eau ou d’un ruisseau
Pendant que je marchais un jour dans cette vallée, un étrange, avec un guide à la main, m’accosta et me demanda si c’était là la fameuse « flower valley ».
Je lui répondis par l’affirmative. « Je ne vois pas de fleur » dit-il et il retourna sur ses pas d’un air désappointé. Ce voyageur était évidemment en train de « faire » la Riviera, et considérait que ce spectacle particulier ne valait pas le coup.
Mais combien de fleurs vous attendez vous à voir dans un lieu qui est pillé six mois de l’année par une armée d’étrangers qui s’y déversent chaque année d’une centaine d’hôtels avec de grands paniers qu’il faut remplir ? Durant les six mois d’été les gens de la région fréquentent et cueillent chaque fleur qui a échappé aux visiteurs de l’hiver. Le miracle c’est qu’il reste quelque chose et que la nature répare même partiellement une telle perte.
Cependant il y en a assez, comme nous allons le voir, pour passionner quiconque y trouvera de l’intérêt. « Je ne vois pas de fleurs » disait cet étranger pressé. Je ne le pense pas. Si vous devez vous dépêcher pour retourner à la réception de Mrs So and So, ou vous habiller pour la table d’hôtes ou emballer vos affaires à temps pour le « Rapide », vous n’allez probablement pas voir ce qui vaut la peine d’être vu, dans un court passage au Vallon des Fleurs, ou dans toute autre vallée dans le même but.
Cependant il y a beaucoup de fleurs à deux pas de nous. La rive est couverte de Draba. Vous pourrez aisément passer une minute planté là sans remarquer ni la fleur blanche ni la cosse aplatie.
Les fleurs de Draba poussent ainsi au Printemps, je pense, car elles n’ont pas assez de force pour résister au soleil d’été. Poussant sur le sommet des murs et sur les toits des maisons où les racines ne peuvent s’enfoncer profondément elles sècheraient plus tard dans l’année. Ainsi, frêle et éphémère comme est ce petit cresson, il n’attend pas l’automne ou même le solstice mais fleurit et fait des fruits aux premiers jours du Printemps. Ce Draba bien sûr est une plante commune en Angleterre
Il y a aussi une petite herbe presque invisible. Néanmoins je n’exagère pas quand j’affirme qu’elle pourrait bien être l’herbe la plus importante qui pousse, car de Candolle pense qu’Aegilops (fig. 63) est à l’origine de notre blé cultivé. S’il en est ainsi nous devons croire que quelque bienfaiteur préhistorique de l’humanité remarqua que chez cette petite herbe il y a une grande disproportion entre la feuille et la tige, et qu’il conçut le merveilleux plan de développement de cette plante en procurant de la nourriture à des millions de gens et un rempart contre la famine pour toutes les générations futures.
Ce sauvage vêtu de peau ne rêvait guère alors qu’il regardait et s’intéressait à l’Aegilops, choisissant chaque année les meilleures graines pour les semer de nouveau, en protégeant la précieuse plante contre les risques de croisement avec une de ses parentes non cultivées. Il ne pensait guère qu’il suivait un processus scientifique de sélection naturelle en essayant la plus intéressante expérimentation qui ait jamais été suggérée à l’esprit humain.
Il y avait là une recherche sans intervention brutale, entièrement bénéfique et cependant presque bénévole ; car cet homme dont nous ne savons ni quand ni où il vivait, posa les premiers fondements de l’agriculture, rendit la civilisation possible et accrut ainsi mille fois le bon et le mauvais de cette vie mortelle.
En certains endroits de l’Italie cette herbe est recueillie et la graine est séparée en mettant le feu aux épis; les graines tombent alors légèrement rôties. Le blé desséché et récolté de cette façon est encore une nourriture favorite dans certains endroits d’Orient. Voir Virgile Eneide i 179 Ruth ii, 14 etc…Voilà beaucoup pour l’Aegilops mais elle n’a pas de fleurs comme nous sommes accoutumés à parler de fleurs.
Je vais cueillir au bord du taillis une curieuse et vraie fleur, le Plagius. J’oserai dire que vous pourriez l’appeler le « Bachelor’s button » ou quelque chose de la sorte. Mais elle n’a pas de nom populaire autant que je sache. Si vous désirez savoir à quoi elle ressemble vous n’avez qu’à prendre une fleur de marguerite et lui enlever tous les pétales blancs (fleurs ligulées) comme le fait la pauvre Marguerite dans Faust, en laissant le disque orange. C’est exactement comme un Plagius. Si vous montrez Plagius à un ami il vous dira « ah ! ah ! Je sais comment vous faites cette fleur. Ce n’est pas la peine d’essayer vos plaisanteries avec moi. Il y a même des botanistes qui déclarent que le Plagius est une simple monstruosité une misérable difformité, une marguerite dégénérée de sa couronne par quelque curieux caprice de la nature. Mais si ce bouton orange était une simple monstruosité, il tendrait en variant comme le font les légumes à retourner au type dont ils sont partis. Au lieu de cela, il est établi que les fleurs de Plagius ont été pourvues d’une taille assez différente de celle du Leucanthemum. La plante est assez abondante dans la vallée de la Vésubie au-dessus de Levens.
Après ce disque jaune, prenons un autre bouton uniquement bleu cette fois, une fleur qui est également nouvelle pour les botanistes anglais. Nous pouvons aussi la trouver à l’entrée de la vallée. Elle n’a pas de nom anglais. Linné l’a appelé Globuleria (fig. 64). Il y a diverses espèces dont une, G.Alypum, fleurit non seulement au Printemps mais aussi pendant les mois d’hiver. L’inflorescence consiste en une tête comme celle d’un composé ou d’un scabieux et les enveloppes florales sont au nombre de cinq. La corolle est bilabiée ou en forme de ligule, et les étamines sont au nombre de quatre, la supérieure et la postérieure étant supprimées comme dans les labiées. L’ovaire est supérieur et le stigmate plus ou moins à deux lobes. Cette curieuse plante a par conséquent l’inflorescence d’un composite mais le calice, la corolle et les étamines d’une labiée.
Tout près, le globe thistle (echinops) peut se trouver en abondance, une plante tellement ornementale qu’on peut être surpris qu’elle n’attire pas l’attention des artistes avec ses douces boules bleues. Cette inflorescence bien arrondie n’est pas strictement analogue à celle d’un thistle ou d’un burdock (arctium) car selon les très beaux tableaux de Henslow pendus à mon cou, chaque fleuron composant le globe bleu présente un capitule séparé. Echinops est commun depuis la côte jusqu‘à trois mille cinq cent ou quatre mille pieds au-dessus du niveau de la mer.
Sans ses fleurs, le lys sans feuille (aphyllantes) (fig. 65), pourrait être aisément pris par erreur pour un rush. C’est en fait, dit Moggridges, intermédiaire par la structure et l’aspect entre le lys et la famille des rushs et semble n’appartenir ni à l’une ni à l’autre. Hooker place ce lys dans une petite famille avec un peu du genre non décrit de juncacée. Il y a plus d’aphylanthes sur la nouvelle route de Gênes que dans le Vallon des Fleurs.
Coris est la seule plante de l’ordre des primeroses (d’après ce que j’en sais) avec sa corolle bilatérale. Les feuilles sont un peu épaisses et habituellement elle n’est pas sans ressembler à la joubarbe (sedum), quant aux fleurs elles sont tellement belles qu’on les décrit dans les documents sur la flore comme « d’un rose bleuté». On peut trouver Coris à l’entrée du Vallon des Fleurs et partout où le sol est sec et pierreux ; vous le verrez pousser sur les bords de la voie ferrée.
Tard en Juin nous avons trouvé Catananche coerulea dans le Vallon des Fleurs. La fleur comme son nom l’indique, est d’un très beau bleu, la longue feuille étroite ne se voit pas beaucoup dans l’herbe de sorte que la plante ne se voit pas quand elle n’est pas fleurie. Catananche est particulièrement digne d’attention car le professeur Oliver la considère comme la plus élégante des ligulées composites.
Les bractées de l’involucre sont si sèches et scarieuses qu’elles font un bruit de craquement quand on les presse légèrement. La plante est beaucoup plus abondante à quelques kilomètres dans l’intérieur des terres. J’ai essayé sans succès d’en faire pousser dans un pot. Catananche est capable de supporter l’hiver le plus rigoureux dans le sud de l’Angleterre. C’est pourquoi elle est plus commune dans les jardins anglais qu’elle ne l’est ici.
Je n’ai pas besoin d’attirer l’attention sur les fleurs qu’on voit de Cranesbill (erodium) dont l’herbe est parsemée ni aux violettes qui couvrent littéralement le sol un peu plus tard. C’est une vallée dont une branche vers l’est est pleine d’hepaticus. Quand ils sont en fleur vous pouvez souvent trouver votre chemin vers l’endroit où elles poussent par les fleurs dispersées le long du chemin. Il y a des gens qui ne peuvent trouver d’autre usage aux fleurs que de les détruire et de les fouler aux pieds.
Le jour de Corpus Christi, le Cours à Grasse est parsemé d’un épais tapis de fleurs jaunes de genêt. Les jeunes paysannes ont été occupées avant le jour férié à dénuder les brillants massifs et à descendre les ornements d’or de la colline, pour être écrasés sous les pieds des prêtres marmonnant.
Les prairies du Trent à Nottingham sont couvertes une fois par an d’un épais tapis de crocus. Le premier bulbe a été planté, dit-on, par un prisonnier français ou un réfugié. La Reine des Midlands est fière de ces très belles fleurs ; les agneaux de Nottingham y trouvent beaucoup d’intérêt. Le Dimanche du crocus ils s’assemblent dans les prairies ; ils sautent et batifolent sur les crocus; ils les jettent par terre et les déchirent. « Placuisse nocet » (Leur beauté entraine leur perte). Le soir il ne reste aucune fleur mais la route vers la ville est recouverte avec les débris du beau travail de la nature exactement comme vous pouvez voir la Promenade à Nice, Cannes ou Menton après la vulgaire et turbulente bataille de fleurs.
Contre cette sauvage destruction la botaniste proteste en vain. Mais pensez-vous qu’il n’y a aucune vengeance des fleurs ? Que les petites fées de Freilgrath ne vous transperceront pas avec leurs fléchettes ?
Wir verbiuhn doch eh wir sterben
Madchen, triff dich unsre rache
Barlia longibracteata (aceras loroglossum) (fig.92) la plus grande et plus élégante orchidée de la région, si elle n’existe pas sur toute la Riviera, abonde dans le vallon. Sur le versant italien de la frontière elle devient très rare, du fait que beaucoup d’endroits où elle poussait précédemment ont été transformés en terrasses cultivées. Elle aime les endroits frais et humide. Elle est nommée d’après Barla qui a fait une étude particulière des orchidées de la Riviera, et écrivit une monographie (iconographie) avec beaucoup de planches en couleur.
Parmi les autres orchidées communes dans cette vallée, on peut voir Cephalantera ensifolia.
Les tulipes sauvages seraient beaucoup plus nombreuses si elles ne poussaient pas si près du chemin.
Si vous aimez les doux parfums, vous pouvez remplir vos poches de Melissa, une labiée, avec les habits d’une Lamium. L’odeur de cette plante est comme celle de la Scented verbena (aloysa triphylla)
Dans la vallée des Hépatiques ci-dessus mentionnée, la Clematis ritalba, (non la flammula) atteint un développement que je n’ai jamais vu en Angleterre. Elle rappelle une des lianes tropicales et grimpe jusqu’au sommet des arbres avec une tige aussi épaisse que le poignet.
La vallée principale se termine en un espace qui serait très beau s’il n’avait pas été déboisé ces dernières années du chêne et du pin et des arbustes flowering ash (F.ornus) qui avaient l’habitude de pousser là et de décorer l’endroit.
C’est triste à dire, le Vallon des Fleurs est maintenant profané par un Etablissement de tir aux pigeons
Note sur la vallée des Hépatiques
L’auteur semble distinguer ce vallon du Vallon des Fleurs (Avenue des mimosas, avenue de la Marne?)
Note sur les fleurs décrites ci-dessus :
Draba : passerage drave – famille de la moutarde - crucifère
Aegilops : égilope, triticum famille du blé
Plagius : famille de la camomille
Bachelor’s button : renoncule double
Leucantherum : famille des asteracées
Globuleria : globulaire de la famille des plantaginacées
Thistle echinops: chardon bleu
Burdock Arctium: bardane
Coris : coris de Montpellier
Sedum : orpin crassulacée
Catananche : cupidone, composée
Cranesbill erodium : géraniacée
Hepaticus : renonculacée
Broom : genêt
Crocus : iridacée
Placuise nocet : métamorphoses d’Ovide livre XV
Barlia longibracteata (aceras loroglossum)
Cephalantera ensifolia : céphalantère à larges feuilles
Verbena : verveine, verbenatée
Clematis ritalba: clematite renonculaire
Flowering ash: F.Ornus, frêne à fleurs ou orne
Note sur un livre:
Voir aussi: "un regard anglais sur la nature niçoise" "Riviera Nature Notes" par Jean Michel Bessi - le Sourgentin N° 236 avril mai 2019
Bibliographie
Casey, George Edward Comerford,
Riviera notes – a popular account of the more striking plants and animals of the Riviera and the Maritime Alps
Nice 1893 Galignani’s Library
Manchester 1898 Labour Pres Limited
Bernard Quaritch – 15 Piccadilly – Londres 1903
https://archive.org/details/rivieranaturenot00caseiala