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Point du Ramingao à Roquebrune Cap-Martin

ABBAYE DE SAINT HONOR

ABBAYE DE SAINT HONORAT ILES DE LERINS APRES 1780

mise à jour janvier 2024

… Le gouvernement prit la décision d’abolir l’institution monastique et même sous la tyrannie de l’ancien régime, il n’était pas interdit aux hommes de vivre en communauté. L’Etat était seulement déterminé à couper les branches mortes et obtint des sanctions canoniques pour ces opérations. Comme c’était mondial il y eut une sorte de clémence….

Ainsi il arriva que près de Rouen il y avait un prieuré où ne restait qu’un seul moine. Beaucoup de congrégations furent supprimées par manque de membres et le gouvernement ordonna la fermeture de 386 maisons religieuses. Une Bulle de Pie VI en 1787 unit l’abbaye de Lérins au siège de Grasse et quand en 1788 le commissaire pontifical arriva pour examiner les affaires et une maison déjà canoniquement suspendue, le fait s’ébruita qu’il n’y avait que quatre moines en résidence à Saint Honorat. Les sept chapelles avaient perdu leur popularité et les pèlerins ne se précipitaient plus vers leurs autels. Il n’y avait que les « plantes du pardon » () qui montraient encore leurs couronnes de fleurs jaunes sur les plages où les martyrs étaient morts sous les coups des pirates maures. Le moment était arrivé pour la sécularisation de Saint Honorat. Dans ce cas comme dans chaque autre ; le gouvernement s’occupa d’indemniser les survivants. On fit un inventaire de la propriété. La liste prouve comme était exagérée la peinture des celliers pleins de vin et les buffets remplis de vieille argenterie. La bibliothèque était même intacte et les quatre moines comme ils n’avaient pas de réjouissance eurent peu de regrets à s’en aller.

Don Théodule le prieur était originaire de la région. Il aimait peut-être cette ile avec ses tombeaux, ses myrtes, le ressac des vagues et le bruit des cloches des pêcheurs quand ils tiraient leurs filets la nuit là où les algues poussaient. Peut-être avait-il pendant des années compté les pierres de la grande maison ou la tour qui lui était familière depuis son enfance. Il est certain que Don Théodule n’a jamais perdu de vue son prieuré perdu. Il se retira avec une pension de 1500 livres à Vallauris et il mourut là dans la maison de sa sœur Madame Gazan.

Don Marcy avec la même pension devint vicaire à Antibes à peine un malheureux endroit qui fut jadis le siège d’un évêque extra diocésain sous l’autorité directe du Saint Siège. Pendant que Don Chardon après être allé aussi loin qu’Avignon mourut là comme professeur dans une école publique.

 Ainsi l’ordre ancien céda la place à un nouveau ; ainsi à Lérins moururent l’amour et le zèle.

L’année 1788 suivie par l’année plus orageuse de 1789 et bientôt le rivage de la Méditerranée fut surpris non par la cloche de l’angelus, mais par la voix de Mirabeau qui était comme le grondement du mistral par le cri de la marseillaise et par la progression des anglais.

Le printemps 1815 vit revenir Napoléon en vue de Lérins mais à cette époque le monastère était devenu un tas de ruines.

Dans ces jours glorieux il y eut un abbé tellement féru de méditation que chaque nuit il avait coutume d’arpenter les sept chapelles et le petit môle. Il fut rapporté que longtemps après sa disparition le fantôme de Saint Virgile hantait son étrange promenade.

Assurément au début de ce siècle Saint Virgile n’aurait trouvé rien d’autre qu’abomination et désolation lors de ses promenades, que les tiges de fenouil et les salsepareilles emmêlées dans les lieux où il avait vécu.

Les évêques de Fréjus et de Toulon firent une note pour la désacralisation des lieux sacrés, de leurs tombeaux, de leurs autels vides et de cette côte déserte. A la fois Monseigneur Richer et Monseigneur Michel désiraient prendre possession de l’ile et comme la propriété avait été déjà deux fois vendue, la première fois à un clergyman anglais et puis à une actrice française, il y avait un espoir qu’elle serait à nouveau sur le marché. Et par conséquent le dernier évêque Monseigneur Jordany fut assez heureux pour l'acheter. Les Jordany venaient de Cannes et un Jordany avait été une fois prieur de Lérins ce qui représentait un double titre pour prendre possession de l’ile.

Une colonie du tiers ordre de Saint François fut d’abord installée là. Leur travail consistait en la culture du sol et la prise en charge éducative de garçons orphelins dans une ferme modèle.

Mais ils furent remplacés plus tard dans le monastère par quelques frères cisterciens. Les pieuses donations des visiteurs catholiques avaient enrichi la nouvelle fondation et le grand beffroi du nouveau couvent servait maintenant comme repère pour les marins de Saint Tropez au cap Garoupe.

Les visiteurs de sexe féminin n’étaient pas autorisés à entrer dans le couvent et ils étaient évidemment curieux d’y pénétrer. Je fus une fois trompée par un ami qui put prouver que je descendais d’Edouard III pour espérer qu’ayant un peu du sang d’Edward the Bruce, nous pourrions ensemble satisfaire notre curiosité. J’aurais pu ainsi faire un rapport à mes lecteurs sur les cloitres de Lérins. Mais son altesse royale la Comtesse de Paris m’en dissuada. Elle me dit que la dernière aimable reine de Hollande était la seule femme qui était entrée là de plein droit et qu’elle avait franchi la porte avec une permission expresse précédemment obtenue de Rome. C’est pourquoi je demande à mes gentils lecteurs de se contenter d’une photographie et aux messieurs de visiter par eux-mêmes une maison dont on m’a dit que les moines sont particulièrement fiers.

Les frères sont aussi très heureux de parler des droits qui rendent leur établissement libre de droits municipaux. Cannes précédemment dépendait de Lérins et à part l’existence de certaines règles maritimes relatives à l’estran il apparait que même maintenant le maire de Cannes ne peut mettre le pied sur l’ile de Saint Honorat s’il n’y est pas invité.

C’est malheureux que les livres de l’ancienne bibliothèque n’aient pas été retrouvés. Les papiers furent à l’origine envoyés à Grasse pendant la révolution. Ils coururent bien des risques et furent transportés à Draguignan où ils sont restés pendant des années à la sous-préfecture. Ils sont maintenant à Nice et le grand désordre dans lequel ils furent trouvés augure mal qu’une bonne classification puisse mener à la découverte de leurs trésors. La société des lettres sciences et arts des Alpes maritimes a cependant pris les choses en main (1883). Le gros classeur en bois marron contenant cent cinquante-deux feuilles de parchemin a été catalogué et réimprimé (voir note) et de cette façon nous possédons une liste des dons subsides et privilèges du monastère durant les neuvième, dixième, et onzième siècle. Une seconde série comprenant les chartriers du treizième au dix-huitième siècle est en préparation

Le Prince de Monaco possède un document curieux et original sur le chartrier de Lérins, littéralement aussi bien que figurativement …sur un rouleau de douze pieds de large mas de quatorze pieds de haut est conservée une liste de fiefs terres et tènements appartenant à l’abbaye. Chaque entrée est attestée par la notaire local et le document est du plus grand intérêt pour la topographie de tous les districts contrôlés une jadis par l’abbaye de Lérins

L’argenterie des autels qui avait été déposée à Grasse quand l’abbaye a été rattachée à ce siège fut bientôt envoyée à Marseille pour être fondue dans un but national mais il y a encore quelques reliques de Saint Honorat conservées dans le diocèse. Le reliquaire est à Grasse. C’est un petit coffre en forme de maison avec de curieuses figures archaïques représentant des scènes de la vie du saint, telles que son arrivée sur l’ile et la lutte contre les serpents. Une de ces figures représente apparemment un monstre de quatorze pieds de long pour la partie héroïque de la composition. Le reliquaire est vide, mais l’église possède un os et Cannes possède une relique qui est portée à travers la vieille ville le jour de la fête du Saint. Je l’ai vue une fois accompagnée par Mr Barbe le curé avec une douzaine de prêtres et une centaine d’enfants vêtus de blanc. Mais cette petite animation annuelle est tout ce qui survit de l’ancien temps. Cela devait être beaucoup plus animé quand les pèlerins de Riez arrivant à Cannes luttaient pour le droit de marcher en premier près de la grande crosse de l’Abbé pour le triomphe du jour de la Saint Honorat.

Ainsi s’efface le renom même de ceux qui ont bâti églises et chapelles. Ainsi disparait dans les nuages le jour de chaque activité humaine. Même une fraiche inscription s’efface.

Le discours de Monseigneur Jordany, quand il récupéra l’ile de Lérins montrait qu’il avait lu la fraiche inscription, le plus grand message du XIXème siècle. Il s’attarda sur les vertus de Saint Honorat et de ses disciples mais il dit à la foule qu’à la fois les saints et les martyrs, les évêques et les pêcheurs, à la fois les prêtres et les gens dans le monde appartiennent à Dieu et ont un message de sa part envers le monde.

Ce serait très exagéré de dire que nous sommes tous catholiques et protestants enfants du Moyen Age et que les cloches du cloitre comme celles de la cité disparue dans les flots remuent les cœurs. Elles nous rappellent le temps ou les fondateurs avaient un idéal, un idéal qui était celui des bâtisseurs et un zèle anonyme pour la venue du royaume de Dieu

 

Note de l’auteur : cartulaire de l’abbaye de Lérins publié sous les auspices du Ministère de l’Instruction publique par MM Morris et Ed Blanc. L’imprimerie du couvent fut utilisée pour la production du volume qu’on peut acheter chez H Champion 15 Quai Malaquais Paris

 

Bibliographie

Charlotte Louisa Hawkins Dempster - The Maritime Alps and their seabord Longmans Green and Co – London 1885

https://archive.org/details/maritimealpsthei00demp