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Point du Ramingao à Roquebrune Cap-Martin

AQUEDUC DE LA TURBIE 06320


      Mise à jour septembre 2020

 

               

Cet aqueduc de plusieurs kilomètres prend sa source au lieudit le Faissé sur la commune de Peille. Il s’agit d’un aqueduc romain remanié au début du 19ème siècle. Une étude sur cet aqueduc a été publiée dans la revue de l’institut de Préhistoire et d’Archéologie Alpes Méditerranée, tome XLV, 2003 p.89-102.

Depuis cette date, un article a été également publié sous la signature de Jean Cunegondo () page 239 . Un incendie qui s’est produit depuis la première publication a provoqué un débroussaillage d’un secteur de l’aqueduc  où l’on peut voir deux styles de maçonnerie différents.

Photos Henri Guigues et Raoul Barbès

 

Historique

On ne possède pas de document sur sa date de construction par les romains. Toutefois on peut supposer qu’il a été conçu au moment de l’édification du trophée d’Auguste à la Turbie au début de notre ère.

Il a été restauré sous le règne de Charles Félix  en  1822 et 1823. Une pierre verticale trapézoïdale de 60 cm de hauteur,  70 cm de grande base et 30 cm de petite base est située à l’endroit du captage. Elle est gravée avec la mention suivante (reconstituée)

CONTE  CROTTI  INTENDENTE GENERALE DI NIZZA 1822.

La pierre se trouve au dessus d'un petit édicule datant vraisemblablement de 1935. Il a été restauré le 24 Mai 1972 et comporte divers graffitis.

En fait, lors de la restauration de l'aqueduc romain, plusieurs sources ont été captées.

Les extraits des registres de l'ancienne insinuation de Nice mentionnent (ADAM E 084/ 03 N 001):

- le 1er décembre 1822 : Vente de deux sources par Maurice Barelli territoire d'Agel à la commune de la Turbie. Les confronts sont cités.

- le 14 janvier 1824 : Vente par Françoise Robin (native de Peille) épouse Brocart, à la commune de la Turbie des droits qu'elle a sur les sources du Faisset.( L’orthographe du mot a varié suivant les documents). Il est fait mention d'une source inférieure appelée "del Vesc", mais qui n'aurait pas fait partie des captages.

- Le 15 juin 1824 : Vente par les sœurs Theresa et Giuseppa Barelli d'une source située dans leur propriété d'Agel, dite la Canar (Canal?). Cette acquisition a été faite sous le mandat de Pasquale Magagli Bayle de la Turbie,  et l'acte mentionne notamment " la sorgente sunominata delle Canar che scaturisse nella proprieta desse venditrice dell'Agel territorio di Peglia  per venir questa per mezzo di un acquadotto in materia condotta nell' acquedotto gia costruitto da questa communita che parte della regione del faisset fino in questa commune."

Le nom du lieudit "pont des demoiselles" sur la route du golf du Mont Agel serait lié à ces deux soeurs.

Selon J. Cunegondo de la Turbie (), une transaction s'est faite entre la commune et le comte Rey de Villarey pour la cession du terrain de la source le 30 Août 1822.

Selon lui également les turbiasques étaient tenus d'aider pour le transport des matériaux, des bêtes de somme étant également réquisitionnées. Les ressources communales étant épuisées bien avant l’achèvement des travaux, le Maire Michel Rossetto fit appel à S. E. l'Intendant Général de Nice le comte Crotti. Celui-ci accorda les crédits suffisants pour terminer le canal et construire la fontaine.

Le marché pour la construction du canal a été passé le 22 avril 1823 avec l'entreprise Giovanni Gastaud. Ce document est très intéressant car il définit notamment les caractéristiques techniques de l'ouvrage, les provenances de matériaux, les compositions des enduits… On y lit aussi les conditions de prix, les cautions, les conditions d'emploi de la main d’œuvre locale...(ADAM dépôt E 84 3N1 la Turbie)

L'ouvrage était prévu en deux tronçons: le premier avec une base de 30 cm, des murs latéraux de 40 cm de haut, une couverture en pierre de 25 cm d'épaisseur. Le second tronçon prévoyait l'emploi de terre cuite vernissée.

L’abbé Bonifassi a fait un compte rendu en 1823 sur sa réfection et mentionne l'ouvrage romain (notes 344 et 345) et un peu plus tard (note 553), un commentaire sur l'avancement des travaux. Voir ci-dessous.

Par la suite, cet ouvrage a fait l'objet de nombreuses réfections. On peut lire notamment les délibérations du conseil municipal du 9 mars 1911 en vue d'achever la canalisation en fonte, du 31 août 1911 sur le même sujet mentionnant notamment que deux tiers de la conduite était encore en maçonnerie et faisant état des réparations de 1896, de 1900 et de 1907.

Un plan général avait été établi par les Ponts et Chaussées le 25 août 1911 indiquant que le tronçon col de Guerre - la Turbie était déjà en fonte  et que le tronçon entre le ruisseau du Gayan et le col de Guerre, encore en maçonnerie, était à remplacer par de la fonte. Les travaux ont été réceptionnés le 24 avril 1914.

Dans un mémoire du 2 novembre 1922, Monsieur Laguini, architecte à Monte Carlo, a refait l'historique de la conduite, mentionnant les sources du Faissé et Canale, captées vers 1825, et les travaux réalisés en 1896, 1900, 1908, et 1913. Le réservoir de 700 m3 du col de Guerre avait été construit en 1896. Sur le plan approuvé par la Mairie, figure une canalisation en fonte de 15 cm de diamètre. Les travaux ont été exécutés en 1928.

A propos de la fontaine de la Turbie, Philippe Casimir, historien et ancien maire de la Turbie (), mentionne en page 283 : « …une haute fontaine en pierre de taille dont la sculpture reproduit le style du 18ème siècle. Cette fontaine fut édifiée en 1826, sous le règne de Charles Félix de Savoie, par Mr le Comte Crotti, Intendant Général du Comté de Nice, ainsi que le rappelle une inscription gravée sur la pierre. C’est le complément d’un travail gigantesque : la conduite dans le village des eaux captées sur la cime de l’Agel, à mille mètres d’altitude. Le nouvel aqueduc empruntait sur plusieurs points les restes d’un aqueduc des Romains, lesquels avaient, les premiers, amené à la Turbie les eaux de l’Agel pour alimenter les édificateurs de la tour et la garnison de ce poste militaire ».

Un article paru dans la revue Archeologia N° 557 de septembre 2017 indique un certain nombre de procédés techniques relatifs à la construction des aqueducs.

En particulier il mentionne les puits de rupture de pente.

Dans le cas de l'aqueduc de la Turbie, et pour éviter d'avoir un pont canal trop haut au dessus du vallon, car la source était proche et nettement plus haute que le pont canal, il devait y avoir un système équivalent, repris à l'époque moderne

Description du tracé

                  

Cet aqueduc est toujours visible sur l’essentiel du tracé. L’édicule situé au captage dont il a été question plus haut, (P) x=1008.187 ; y=3176.636 ; z=764, se décompose en deux parties, la partie avant où se trouve un regard de visite et la partie arrière accessible par une petite porte avec encadrements en pierre de taille. L’ouvrage est en tranchée couverte sur quelques dizaines de mètres.  On peut remarquer  sur la croupe entre la captage et le vallon où se trouve le pont canal une maison en ruines dont l’usage était peut être lié au canal. (P) x=1008.076 ; y=3176.626 ; z=747. Pour franchir un premier vallon, un pont canal à une seule arche en plein cintre a été édifié à quelques dizaines de mètres de la source. Le piédroit amont est un peu déchaussé et nécessiterait une réfection pour éviter une dégradation plus importante. (P) x=1008.002, y= 3176.574 ; z= 710. Sur le piédroit amont on voit une encoche de 20 cm x 20cm environ ayant probablement servi à poser le cintre  pour le coffrage.

En amont de ce pont on peut observer une partie du canal en cascade de plus de vingt mètres de dénivelée, et en bas de cette cascade se trouvent les restes d’un bassin de tranquillisation à quelques mètres en amont du pont et à son niveau.

Ensuite le canal trapézoidal est bordé côté aval par un muret qui fait soutènement, de 1 à 2 m de haut et la partie amont s’appuie à la colline.

Un deuxième vallon est franchi en tête d’un mur de soutènement. Celui-ci se décompose en deux parties. A la base un premier mur en pierres sèches qui fait jusqu’à deux mètres de haut a fait l’objet d’un rejointoiement avec des joints droits de 1 cm d’épaisseur  entre les pierres : le mur supérieur est en retrait d’un trentaine de centimètres par rapport au premier et l’appareillage est différent sans qu’on puisse dire s’il y a une date de construction différente pour les deux murs.

(P) x=1007.973 ; y=3176.289 ; z=686

 A deux cents mètres environ avant le passage de la croupe qui sépare le vallon du ruisseau du Gayan de celui de Galembert, et qui forme un petit collet, on peut observer la section de l'aqueduc en divers endroits. Il parait légèrement trapézoïdal  avec une base de 25 cm environ et une hauteur enduite de 25 cm à 30 cm environ également. La largeur en tête est de 30 cm environ. L'enduit dans la partie observable n'est pas très épais (1 à 2 cm  d'épaisseur environ). Une étude plus poussée pourrait nous dire si certaines parties d’enduit sont romaines  où si tout l’enduit date de la restauration faite en 1822.

A une centaine de mètres en amont du collet se trouve un regard de visite avec porte sur l’aval de la conduite et couverture voûtée en pierre. (P) x= 1007.742, ; y= 3176.289 ; z= 657

Le collet se franchit en tranchée couverte de 2 à 3 mètres de profondeur.

En aval du collet le principe est le même qu’en amont avec un mur aval pour éviter le maximum de terrassement. L’ouvrage se trouve à quelques mètres en amont de la route qui mène aux villas sur le flanc droit du vallon du Gayan et passe au pied d’une falaise.

Un  ouvrage intéressant rencontré à quelques centaines de mètres en aval du collet est un petit arc pour passer devant un rocher. A une vingtaine de mètres en aval de ce point, un grand éboulement de rochers, très visible depuis la route de la Turbie à Peille n’a apparemment pas détérioré la canal. On trouve dans cette zone divers morceaux de tube en fonte, et un grand regard en béton en aval du canal.

Par ailleurs, comme indiqué plus haut, au point de coordonnées GPS, Lambert III (X= 1007.770, Y=3170.040, Z=735), il semble y avoir deux styles de maçonnerie différents.

Le franchissement du ravin du Gayan ne comporte pas d’ouvrage remarquable. Cependant dans l’état actuel, le ruisseau passe en cascade au dessus du canal. Il faudrait pouvoir nettoyer les lieux pour dire si un ouvrage inférieur ancien éventuel s’est colmaté avec le temps, ou a été emporté par les crues du vallon. 

Comme le canal se trouve presque partout à flanc de coteau, on ne voit que le mur de soutènement aval. Pour apprécier ce qui peut rester du canal romain, il faudrait pouvoir distinguer des différences de parement avec les parties refaites au début du 19ème siècle. Dans les zones observées, il est difficile de se prononcer.

Le tracé dans le vallon du Gayan est représenté vu d’en haut

La canal a été suivi jusqu’à une carrière à 500 mètres en amont du col de Guerre. Au-delà la végétation très dense empêche de suivre le canal. Sur la rive gauche du vallon du Gayan la pente est faible jusqu’à un point où on peut observer une rupture de pente importante. Dans la pente se trouve un regard en maçonnerie du même type que celui peu en amont du collet et un peu an aval un gros regard en béton comme celui en rive droite du vallon du Gayan

Peu en amont du col de Guerre, on voit le soutènement aval du canal sur quelques mètres en bordure de la route de la Turbie à Peille côté amont. En aval du col la conduite passe sous l’ancien chemin de la Turbie à Peille puis passe à travers des propriétés privées, mais on peut suivre son tracé sur le plan cadastral.

La canalisation qui desservait la fontaine sur la place du village n’est plus en service et  la fontaine est alimentée différemment. Dans les endroits visités, cette canalisation ne passe pas à l’intérieur de l’aqueduc sauf en ce qui concerne le pont voisin du captage. Mais à cet endroit elle a d’ailleurs été remplacée par une canalisation en plastique en siphon.

Dans son tracé actuel la canalisation aboutit dans un bassin situé à une altitude supérieure d'une vingtaine de mètres  à celle de la fontaine. Est-ce exactement le tracé antique ? Dans ce cas la canalisation était-elle prévue pour passer sous ce qui est devenu la place du village en siphon et desservir une fontaine située plus près du trophée ?

On peut se demander aussi pourquoi avoir construit un tel aqueduc au temps des romains. Au moment de l'édification du trophée il devait y avoir sur place de nombreux ouvriers mais plusieurs sources existent à l'est au nord et à l'ouest du village. Y avait-il un village très important à l'époque romaine à cet endroit ou bien les romains avaient ils en tête d'autres projets ?

On peut suivre en partie le trajet sur la carte au 1/5000 mais la Compagnie Générale des Eaux possède une série de plans au 1/200 de la plus grande partie du tracé.

Il est qualifié sur le plan au 1/5000 de «  canal de la fontaine de la Turbie ». Il dessert en effet la fontaine qui se trouve au centre du village.

On peut également suivre le tracé sur le plan directeur au 1/10000 XXXVII  - 42 no 7c de 1885-1886 révisé en 1903. Sur ce plan ne figure pas encore la route actuelle de la Turbie à Peille.

On peut également voir le tracé de l’aqueduc sur le plan d’assemblage napoléonien de Peille en couleur de 1866

Un peu au dessus de cet aqueduc,  et en amont du col de Guerre, se trouve la canalisation dite du génie militaire qui est captée à la source Maraini.

Le tracé actuel suit vraisemblablement le tracé romain même s’il est difficile de se prononcer sur l’ancienneté des parties de l’ouvrage visibles.

Et une fois de plus on ne peut qu’admirer la qualité de conception d’un tel projet.

En effet, entre le captage et le collet (point de passage obligé), la pente est assez faible. Puis entre le collet et le Gayan il fallait passer au pied des falaises mais au dessus de la petite cascade existant dans le ravin du Gayan, ce qui constitue beaucoup de contraintes.

 

 Pentes

 

Entre le captage et le pont canal la pente est assez forte puisqu’il y a un canal en cascade juste avant le pont.

Faute d’instruments il n’a pas été possible de mesurer les pentes dans les divers secteurs.

La partie la plus intéressante de ce point de vue est celle comprise entre le pont canal et le collet de Figourn où le canal passe dans un souterrain peu profond de quelques mètres.

Un calcul effectué sur 800 mètres en aval du pont canal d’après le plan au 1/2000ème 3-2-719-176 Blausasc 20 de la Compagnie Générale des Eaux donnerait une pente moyenne de 2.95%, mais ce chiffre est à prendre avec prudence.

Robert Thernot et des collaborateurs () page 146, donnent les pentes suivantes pour divers ouvrages et en se référant à diverses sources citées dans leur article :

Aqueduc de Fréjus moyenne 1.2%

Aqueduc de Gier à Lyon 0.15%

Aqueduc de Nimes 0.085% en amont du pont du Gard

Aqueduc de la Fontvieille à Antibes 0.085%

Aqueduc de la Bouillide à Antibes 11.7%, 4.4%,0.181% selon les secteurs

Débits

Ils ont été mesurés le 26 novembre 2003. Le débit à la source du Faissé était de 3 litres par seconde. Celui mesuré au réservoir Sainte Marie près du col de Guerre était de 1.8 litres par seconde soit un débit de fuite de 1.2 litres par seconde et un rendement de 60%. Il n’avait pas été repéré de fuites apparentes ; et il a été conclu que les fuites étaient diffuses le long de la conduite.

 

La fontaine de la Turbie

 Elle date de 1824. La dédicace, traduite par Ph. Casimir en 1913 et qui figure au fronton  est la suivante

«  Cette fontaine et son aqueduc, que les romains ont construit pour édifier le trophée d'Auguste qui est maintenant en ruine, ont été réparés et embellis par la municipalité de la Turbie pour la commodité des habitants et des voyageurs, et pour assurer à l'avenir l'arrosage et la fécondité des terres, sous les auspices du comte Crotti de Castigloli éminent préfet de Nice l'an 1824 ».

Références

Casimir  Philippe, Monaco Monte Carlo et les environs,  Editions de la société de publicité des pays d’Azur 1903

Cunegondo Jean, Nice Historique N° 4, octobre décembre 2003 pages 238 à 249

E 084/03 N 001 la Turbie, ADAM, Sources, acquisitions 1817/1936

E 084/050003  la Turbie, ADAM,  Fontaines construction de canaux, 01/01/1823 - 31/12/1850

E 084/02R 002 la Turbie, ADAM, Fontaine publique arrêté de classement

Isnard Roger et Marguerite, Per Carriera

Thernot en collaboration, L’aqueduc antique de la Fontvieille à Antibes, Archeam 2007 N°14

Traduction des notes de l’abbé Bonifassi

 

Cette traduction est faite sauf erreurs dues au fait qu’il s’agit de langue italienne ancienne et que certains mots sont difficiles à lire ;

Note 344 ;

La commune de la Turbie fait conduire jusqu’au dessus de la vieille route de Gênes une fontaine qui a sa source dans la région du Faisset, au dessus de la terre de Morizio Brocart sur le territoire de Peille, et de là traverse la région et le vallon de Figourn et de la Canal, jusqu’à la tour de la Turbie, après la fuite de 1954m ( ?), on rencontre les vestiges de l’antique aqueduc construit par les romains pour conduire les eaux de la source de la Canal jusqu’à la tour de la Turbie ; parvenu à cette ……, le nouvel aqueduc suivra les vestiges de l’antique, jusqu’à la région des grottes  territoire de la Turbie c’est à dire  pour la fuite ? de 1500m ( ?) la longueur totale du nouvel aqueduc sera de 4500m incluant les tortuosités nécessitées par les irrégularités du terrain, la dépense sera de 24…( ?). environ.

Note 345

Cet ouvrage qui immanquablement sera pour…… de grand avantage à cette population ; On le doit à monsieur Michele Rossetti actuel Bayle  lequel est de bon jugement … connaissances locales……l’affection sincère de son lieu natal et de ses compatriotes.

Note 553

On continue avec activité le canal pour conduire la fontaine à la Turbie