Mise à jour janvier 2023
Dans le chapitre IX relatif à Saint Honorat, on peut lire la note suivante page 150 :
Traduction
"Une très curieuse « Vida de Saint Honorat » a été écrite par un moine de Lérins, Raymond Feraud qui a combattu sous Charles d’Anjou. Le poème de 10000 lignes est une singulière peinture des idées du Moyen Age, des légendes et des façons d’être, et le miracle par lequel Saint Honorat sauva l’innocente Gualbore de Bellende, promise au bûcher est très dramatique. Une tour ruinée du château de Nice est appelée tour de Bellande depuis ce jour"
Dans les annales de la Société des lettres sciences et arts de Nice de 1878 page 34 on peut lire le texte et sa transcription en français moderne
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Dame Gualuorc, qui était femme de Raynaut le baron, Le prince de Bellande 1, avait dévotion (foi) Aux saintes prières du corps saint précieux 2 ; Et quand elle vit le miracle de Guigonet le preux 3, Elle y eut beaucoup plus de foi qu'elle n'en avait avant : C'est pourquoi elle faisait grand bien à ceux de l'abbaye; Et montrait au dehors grande mondanité 4 et faste, Néanmoins dans son coeur elle craignait Dieu et le corps saint. Elle était fort belle dame : c'est pourquoi il advint un jour Que le bailli 5 de Bellande la requit de débauche; Mais la dame pour rien n'y voulut consentir, par menaces ni par promesses, par dons ni par douces paroles. Le bailli a bien vu que la dame ne consent pas : A un autre traître il donna de son argent, Avec quoi il le fit s'enfuir ; et a ensuite accusé La Dame auprès de son seigneur, et dit qu'il l'a trouvée Avec cet écuyer qui s'était enfui.
Quand le prince le sait (l'entend), jamais ne fut si fâché. Le prince demanda La Dame sur le champ, Cruellement 6 et en colère il va lui dire son sentiment : » Méchante ingrate, comment et que te manquait-il ? » Ne te tenais-tu payée de ma compagnie 7, » Que tu aies déshonoré et moi et ton lignage, » Et avili ton corps et livré au libertinage ? » Bien dit le proverbe, que souvent j'ai entendu, » Que tant gratte la chèvre jusqu'à ce qu'elle s'efforce de mal gésir 8. » Bien as-tu fait pareil, toi qui étais honorée ! Ordre il a donné qu'elle fût prise et liée : Quand La Dame s'excuse, sa défense n'a lieu 9. Sentence fut donnée qu'on la brûlât au feu. Aussitôt les sergents l0 mènent à la mort la plus belle des dames,
1. Ancien château de la cité de Nice sur le rocher qui sépare la ville du port actuel. Il en reste au versant des Ponchettes une tour qui porte encore aujourd'hui le nom de Tour de Bellande ou Tour Clérissy.
2. Croyait dévotement à l'efficacité des prières adressées à saint Honorat.
3. Le récit de ce miracle précède immédiatement celui dont il s'agit ici. Ce Guigonet avait la garde du château de Bellande, qui renfermait les trésors du prince Raynaut, alors en guerre avec le marquis de Marseille. Des envieux l'accusèrent faussement de vouloir livrer ce château à l'ennemi, et le pauvre Guigonet fut condamné à être pendu. Trente jours après son exécution, ses parents et ses amis vinrent au lieu du supplice pour enlever le corps et l'enterrer : ils coupent la corde et Guigonet saute, plein de vie, debout sur ses jambes. Saint Honorat, à qui Guigonet adressait souvent ses prières, avait empêché la strangulation et de plus nourri le patient pendant les trente jours qu'avait duré la pendaison.
4. Ou amour des plaisirs.
5. Bailli ou baile signifiait aussi gouverneur, intendant. Ce titre était encore sous l'ancien régime celui d'un officier royal d'épée, qui rendait la justice dans un certain ressort et avait droit de commander la noblesse lorsqu'elle était convoquée pour l'arrière-ban.
6. Ou d'un ton farouche.
7. Ton mari ne te suffisait-il pas ?
8. Qu'elle arrive à n'avoir plus qu'un mauvais lit de repos.
9. La dame veut se disculper, mais sa défense est vaine.
10. Les gens de justice.
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Qui réclame en son coeur, avec larmes et pleurs :
» Ah ! précieux corps saint, seigneur saint Honorat,
" Qui à maintes malheureuses as fait (témoigné) si grande bonté,
» Et délivras Sibylle de laide maladie,
» Qui guéris la demoiselle qui avait perdu le nez,
» Et sauvas Guigonet d'une injuste condamnation 1,
» Seigneur, par ta merci, mes prières entends!
» Bien tu sais que j'ai été condamnée à grand tort,
» Et que sans toute cause 2 on me mène à la mort.
» Seigneur à toi je recommande mon droit et ma défense,
» A toi qui à Saint-Hermentaire occis le dragon 3. »
Avait fait grand monceau de bois, le bailli qui accusa La Dame avec beaucoup d'autres chenapans : En Camarts 4 il ne laissa clôture ni palissade Qu'il ne fit porter dans la plaine au-dessous de Nice 5. On l'a prise sur-le-champ, la dame signe son corps 6, Et ils la placent sous cent charges de bois ; Ils mettent le feu en avant et la flamme s'étend : Un demi-jour il brûla sans complet relâche. Mais quand le bois fut consumé et brûlé Et ils virent La Dame (car le feu ne l'a pas touchée), Qui était debout dans la braise, laquelle était grande de tous côtés. Au prince leur seigneur ils l'ont vite mandé, lequel vint avec chevaliers et ceux de la cité. Jusqu'à ce qu'ils fussent au feu ils ne sont arrêtés ; Et ils trouvent alors La Dame sur la braise, Qui était vivante et en santé, au gré ou non des gens 7.
1. Gualbore rappelle ici trois miracles que le poète a racontés précédemment, savoir: Sybille guérie par son cousin saint Honorat (voir ci-dessus le premier fragment), Guigonet pendu injustement (note précédente), et une demoiselle de Vellaron, à qui le fils du seigneur de ce castel avait coupé le nez, parce qu'elle s'était refusée à ses désirs. Saint Honorat remit le nez coupé et guérit le jeune homme, possédé du démon depuis le moment de son crime.
2. Sans nul motif réel, sans que je l'aie mérité.
3. Ce dragon se tenait aux environs d'Ampus, près de Draguignan, et en un lieu que le poète appelle Saint-Hermentaire. Dix hommes, allant en pèlerinage à l'île de Lérins, passent près de cette dernière localité : le dragon saisit le premier qui se présente et le dévore ; les neuf autres pèlerins arrivent au monastère et racontent ce cruel accident à l'abbé saint Honorat, qui se rend aussitôt à Saint-Hermentaire, attache avec sa ceinture le dragon au pied d'une grande roche où le monstre laissa ses os, que l'on montrait encore dans le bon vieux temps.
4. Place d'armes située sur un mamelon du roc qui portait le château de Nice. Elle reçut plus tard le nom de Puey de la cuesta (puy de la côte) et de Place Saint-Jean. Raynouard a cité ce vers au mot paliza de son Lexique roman; et, prenant Camarts pour un nom d'homme, il a traduit ainsi : «Le seigneur Camart ne laissa clôture ni palissade qu'il ne fit porter.»
5. La plus grande partie de la ville de Nice occupait autrefois le versant occidental du rocher sur lequel s'élevait le château : c'est beaucoup plus tard que les habitations s'étendirent dans la plaine comprise entre le pied du rocher et le lit actuel du Paillon.
6. Fait le signe de la croix.
7. Littéral, à qui que cela pèse ou plaise (ou fasse plaisir). C'était une locution proverbiale fort usitée.
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Quand le prince a vu le miracle si grand, Il a. fait partager le feu (la braise), et ils se portèrent en avant. Et ils délient La Dame, qui était enchaînée sans aucun mal 1 : au prince ils l'ont menée ; Ils lui regardent les mains et les vêtements en son brillant visage. Qui fut (se trouva) aussi intact que quand elle vint de Paris. Le prince demanda à la belle Gualborc Comment ne l'avait atteinte le feu ni la chaleur. La Dame répondit que le glorieux corps saint l'a protégée et sauvée dans les flammes immenses. » Car m'avaient accusée, les traîtres, à grand tort : » Le baron (le seigneur) saint Honorat m'a sauvée de mort. » Le prince a fait saisir à l'instant le bailli Et les faux témoins qui ont fait la trahison ; Ils ont (avoué) reconnu et les fait lapider.
On peut trouver sur Internet des textes relatifs à Raymond Feraud et notamment un livre d’André Compan ()
La tour Bellanda aussi appelée tour Clérissy a été le théâtre de nombreux événements qu’on peut lire sur Internet
Bibliographie
Charlotte Louisa Hawkins Dempster - The Maritime Alps and their seabord
Longmans Green and Co – London 1885
Compan André – Raimon Feraut troubadour nissart (XII – XIVème siècles)