Affaire Hongran
Mise à jour décembre 2009
Etude Françoise Prost, Raoul Barbès
Notre attention sur cette affaire a été portée par Madame Simonetta Tombaccini-Villefranque (Attachée de Conservation du Patrimoine aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes).
Ce dossier s'inscrit dans une étude plus large consacrée au Prieuré de Saint Laurent d'Eze et à son environnement . Voir dossier Internet: villages Eze
De gauche à droite:mémoire en français et les deux mémoires en italien |
Dans le dossier AD 1B185 cet épisode a fait l’objet de trois documents :
En 1761 la situation était la suivante :
Le Royaume de France était en paix avec le Royaume de Sardaigne depuis le traité d’Aix la Chapelle en 1748.
La Principauté de Monaco était sous protectorat français.
La guerre de sept ans était en cours (1756-1763), mais le Royaume de Sardaigne avait refusé d’y participer et la France était opposée notamment et principalement à l’Angleterre.
A Nice le port Lympia était en cours de construction et en partie utilisable.
On ne possède que le point de vue sarde sur l’affaire d’après le récit qui a été fait par les marins chargés d’un transport de bois de Nice à Gênes.
L’affaire se serait passée vers dix heures du soir le 31 aout 1761. Il fallait qu’il y ait encore suffisamment de jour ou que le clair de lune soit assez lumineux, ce qui est possible.
La prétendue attaque des navires marchands a du avoir lieu relativement au large car les bateaux devaient passer la Pointe des Douaniers à Cap d’Ail avant de passer au large du rocher de Monaco.
Deux galères françaises armées se trouvaient en mer, dans les eaux territoriales sardes, ce qui constituait une violation de la souveraineté sarde et c’est ce qui a irrité le Roi Charles Emmanuel III.
On parle aussi d’un canon sur la plage de Saint Laurent. Il ne peut s’agir que d’un canon sarde. Sa présence à cet endroit pouvait se justifier par la protection du dépôt de sel de la grotte de Saint Laurent contre un raid maritime pour s’emparer du sel ; mais pour servir ce canon il fallait une petite garnison. Or dans les documents étudiés à ce jour sur Saint Laurent d’Eze et la grotte, il n’a été trouvé nulle mention de ce canon et de ses servants. C’est un point à élucider.
Voir dossier Internet: grotte de st Laurent d'Eze
Cependant d’après Charles Fighera (page 367 et 368, 426 à 430), on sait que des hommes armés de fusils (en principe 6) ont été affectés épisodiquement à l’anse de Saint Laurent pendant les épidémies sur ordre du Magistrat de santé, pour empêcher les débarquements de personnes ou de marchandises.
Dans l’arraisonnement qui a eu lieu, selon le récit des marins, les français montèrent à bord d’une gondole pour prendre le contrôle des bateaux qui conduisaient un radeau resté en arrière. Ils rapportèrent aussi que les bateaux se mirent en défense et que la gondole et le bateau qui se trouvaient alors vers la plage se retirèrent vers Monaco.
On ne dit pas ce qu’il est advenu des marins français montés à bord de la gondole.
Il semble peu vraisemblable que des bateaux avec un radeau en remorque donc peu manoeuvrant aient pu échapper aux galères.
Celles-ci étaient peut être en patrouille pour intercepter d’éventuels bateaux anglais en maraude, ou des barbaresques car ceux-ci effectuèrent des enlèvements jusqu’au début du XIXème siècle. Elles avaient peut être pour mission accessoire de contrôler les cargaisons mais probablement pas de les enlever si elles ne présentaient pas de caractère particulier.
Mais ceci n’est qu’une hypothèse
Donc s’il y a eu effectivement arraisonnement et détournement de la cargaison sur Antibes ceci constituerait un acte de piraterie, en vue de rançon peut-être.
Mais en voyant arriver ce convoi gênant à Antibes les autorités maritimes ont du libérer les marins et la cargaison pour ne pas créer un incident diplomatique.
Dans la première lettre du Roi de Sardaigne au Sénat de Nice, (il lui a demandé d’organiser une action en justice pour obtenir réparation) il demande plus ample information et il soupçonnait déjà les marins d’avoir coopéré avec les français
Dans sa deuxième lettre, peut être après un complément d’enquête il semble avoir été plus circonspect, car il soupçonnait déjà dans la première lettre Giuseppe Antonio Hongran et Savignon de manoeuvres pas très claires qu’il qualifie de manèges et d’avoir coopéré avec les français.
En outre il l’accuse d’avoir contrevenu à une intimation d’état du 30 mars 1761 notamment de ne plus servir de prête-nom ; ou donner la main pour l’adresse des bâtiments. Il demande au Sénat d’admonester sérieusement G A Hongran.
Le Roi ne parle plus dans cette deuxième lettre de François Savignon.
Il y a eu effectivement des Hongran à Nice dont des Hongran de Saint Sauveur qui avaient une maison 2 rue Saint François de Paule à Nice construite sur un terrain qui aurait été acheté en 1730.
Giuseppe Antonio Hongran né en 1687, concerné dans cette affaire, qui avait acheté le fief de Saint Sauveur s’adonna au commerce du bois et au recouvrement des impôts. Son histoire est racontée en détail par Gérard Colletta (). Il est décédé en 1765. C’était un personnage important à Nice. Le 7 mars 1772 son fils a reçu l’inféodation de Fiano avec le titre de Comte.
On ne connaît pas la suite de l’histoire et en particulier la version française.
Mais pourquoi ne pas imaginer qu’elle a été inventée de toutes pièces étant donné toutes ses incohérences
Hongran avait acheté des bois à Clans dans la vallée de la Tinée. Le port de Nice en a utilisé pour faire des pieux pendant la construction du port, selon l’article de Luc Thévenon () page 6 et suivantes
Note sur les galères
En France l’institution des galères a été abolie le 27 septembre 1748. Les galères seront alors incorporées dans la Marine Royale. Reynoir Cadet a donné une représentation de la galère la Dauphine en 1736.
A Villefranche le Roi de Sardaigne a fait construire au moins deux galères vers le premier tiers du XVIII ème siècle, dont une nommée Santa Barbara, mais elles ont été rapidement abandonnées. C’est peut être une d’entre elles qui est représentée sur un tableau de Trachel devant la forteresse de Villefranche.
Le dernier responsable des galères de Sardaigne pourrrait être Philippe de Blonay. Il est mort en 1777 à l'age de 61 ans et enterré à NIce dans l'église Notre Dame de l'Annonciation (Sainte Rita). Une plaque à sa mémoire a été apposée sur le pilier gauche du choeur. Les galères sont mentionnées sous le terme de trirèmes.
Note sur les gondoles
Dans un incident qui a eu lieu en 1777, on parle de gondoles margaritines car fabriquées à Santa Margarita entre Gênes et Portofino.
Apparemment elles étaient manœuvrées à voile et à rames, et assez rapides car une gondole de ce type a essayé d’échapper à la felouque du droit.
Dans cet incident le rapport du commandant de la felouque (des douanes) de Villefranche indique qu’il a fait tirer sur une gondole qui refusait de s’arrêter. Cette gondole était dite margaritana car utilisée communément par les patrons de Santa Margarita
Les marins savaient bien les distinguer d’autres bateaux
« il Commandante del Felucone fece tirare due colpi di Cannone a palla, si era una Gondola Genovese, chiamata communemente Gondola Margaritina, a motivo che sono soliti a servirsi delle medesime li padroni del luogo di Sta Margarita nella Riviera di Levante et per tale fu riconosciuta dall’equipaggio del Felucone qual’ora la viede venire da Levante. »
Annexes
Traduction des mémoires en italien par Françoise Prost:
Le Roi de Sardaigne, de Chypre et de Jérusalem au Sénat de Nice
Messieurs les Sénateurs Fidèles et Bien Aimés. Ayant été informé de votre démarche du 21 septembre dernier concernant la prise, dans la nuit du 31 août précédent, par deux Galères de France armées, de cinq radeaux de bois de construction et de quelques bateaux qui les conduisaient, dans les circonstances particulières décrites par votre rapport, et suite à la copie des informations et autres cartes dont vous l’avez accompagné, nous avons pu apprécier votre sentiment concernant une intervention que pour un tel acte, Vous nous avez suggéré d’effectuer à la Cour de France. Nous avons donc donné nos Ordres afin qu’il soit fait selon la teneur du Mémoire dont nous vous adressons ci-joint une copie.
Nous avons toutefois pondéré l’état des preuves résultant des précédentes informations et cartes en ce qui concerne les Négociants Joseph Antoine Hongran et François Savignon et observé que, dans l’ensemble, il y aurait un fort soupçon qu’ils aient tous deux directement ou indirectement coopéré dans l’affaire de la prise mentionnée ci-dessus. Il serait donc opportun d’éclaircir les manèges et les circonstances concernant la dite affaire au moyen de quelques investigations ultérieures.
Nous faisons donc parvenir Nos Ordres à Notre Avocat Fiscal Général pour qu’il étudie le bien fondé d’une procédure ultérieure. Enfin, Persuadé de Votre zèle et de votre attention habituels, Nous prions le Seigneur de vous garder. Turin, le 9 octobre 1761
Emanuel
Le Roi de Sardaigne, de Chypre et de Jérusalem au Sénat de Nice
Messieurs les Sénateurs Fidèles et Bien-Aimés, Nous tenons de Notre Avocat Fiscal Général, en exécution des ordres que Nous lui avons fait parvenir, comme Nous vous le disions dans Notre Billet du 9 courant, la transmission des Actes pour un complément d’information concernant le Négociant Joseph-Antoine Hongran et ces informations ainsi que les cartes relatives à l’affaire ayant été comme il se doit, étudiées , selon nos Ordres, Nous avons constaté avec grand déplaisir, qu’il aurait fallu non seulement s’intéresser en priorité et de façon urgente aux motifs de suspicion entourant Hongran avec ses manèges visant à coopérer à la prise de cinq radeaux, la nuit du 31 août passé, effectuée par les deux Galères de France, mais aussi au fait que celui-ci aurait également contrevenu à l’intimation qui lui avait été faite le 30 Mars passé, sur Nos Ordres, de ne plus s’ingérer en aucune manière, ni servir de prête-nom, ni d’aide pour l’adresse des Bâtiments chargés du transport de Bois de Construction, et autres faits de ce genre destinés à des activités contraires à la Neutralité. Circonstance qui lui aurait valu, pour si grave désobéissance un châtiment proportionnel ;Cependant, Nous suivons Nos habituels élans de Clémence et eu égard aux arrestations, auxquelles il a déjà été soumis, Nous serions disposé à décider que l’on renonce à d’ ultérieures procédures contre lui et à Nous contenter que celui-ci reste aux arrêts encore un mois à dater d’aujourd’hui avec la liberté de parole. Nous voulons cependant que, ce terme rempli, votre Chef Président le convoque et lui fasse savoir la gravité de son erreur, l’admoneste sérieusement afin qu’il cesse, à l’avenir, de semblables manèges et qu’il observe exactement l’intimation faite ci-dessus, sur Notre ordre, par le dit Chef Président ; et sans plus rien ajouter, nous prions le Seigneur de vous garder. Torino ce jour 30 octobre 1761.
Emanuel
Bibliographie
Colleta Gérard - Saint Sauveur sur Tinée – des Ectini aux Blavets – éditions Serre
Fighera Charles - Eze - Serre éditeurs
Thévenon Luc – la création du Port Lympia - Sourgentin N° 108 octobre 1993.