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CHANTIERS NAVALS DE NICE

LA SANTA ANNA DITE GRANDE CARAQUE

 

Les chantiers navals de Nice

 

Etude Jacky Sarale

Mise à jour octobre 2023

 

De gauche à droite:

Fig 1

Nice au 12ème siècle

fig 2 en 1575

la Santa Anna

Il est difficile pour nos contemporains d’imaginer que la construction navale était une activité importante de la ville de Nice dans les siècles passés.

Et pourtant tout au long de son histoire ancienne la construction de bateaux était une des rares activités industrielles de notre cité.

Cet arsenal car il s’agissait surtout de la construction de navires de guerre, en plus des embarcations construites par les habitants, était situé dans une anse protégée par les dépôts du Paillon située à la place du quartier actuel St François de Paule appelée alors le « pré aux oies »

Il semble donc que l’arsenal occupait la partie ouest du cours Saleya jusqu’à la rue Louis Gassin et comprenait la place Gauthier.

Le port Lympia n’existait pas encore ; son creusement ne commencera que dans les années 1750-1751 ; seul le port st Lambert ou plutôt l’anse st Lambert faisait office de port et était située au pied ouest du château ; la plage arrivait au niveau du cours Saleya

Ce chantier naval dont nous ne connaissons pas la date d’origine existait déjà en 1223 * comme il ressort d’un acte notarié passé à Gênes cette année-là et rapporté par Gioffredo dans Histoire des Alpes Maritimes « un dénommé Jourdain fit don aux frères prêcheurs de l'ordre des Dominicains pour le rachat de son âme d'un terrain propre à l'établissement de leur couvent.

Ce terrain touchait d'un côté à la rue Saleya qu'on appelle aujourd'hui la Grand-Place et sur ses autres côtés l'hôpital des lépreux, la plage et l'arsenal »

Dans d’autres passages de ce même ouvrage on peut trouver plusieurs confirmations de cette activité.

*Luc Thevenon dans son remarquable ouvrage « du Château vers le Paillon » le fait figurer sur une proposition d’un plan de Nice du XIIème siècle avec la mention dès 1170 (fig. 1)

En 1263 Charles comte d’Anjou et de Provence pour aider le pape Urbain IV qui lui demandait son aide, fit alliance avec le marquis Guillaume de Montferrat et les préparatifs de cette intervention nécessitaient un grand nombre de galères pour le transport des hommes et des munitions et pour cela il les fit construire dans l’arsenal de Nice sous la direction de René de Croyac viguier de Nice et de Vintimille. Celui-ci fit appel aux hommes de Peille pour la fourniture du bois nécessaire à leur construction

(voir doc 1).

En 1383 (5 ans avant la dédition de Nice au comte de Savoie dit le comte rouge) la ville qui avait choisi le comte Charles III comme successeur de la Reine Jeanne se vit confirmer ses droits obtenus de ses prédécesseurs et entre autres « qu’il serait permis de construire des navires à rames dans l’arsenal public de Nice »

Le Duc Louis de Savoie en confia la concession à la ville le 24 février 1449 qui s’engageait « à lui offrir à titre de reconnaissance une livre de poivre chaque année et six ducats d’or tous les vingt-cinq ans » (Gioffredo Storia di Nizza)

En 1468 le Duc Amédée XI ordonne la construction d’une Galéasse baptisée Sainte-Marie auxiliatrice pour le compte de son épouse Yolande de France sœur de Louis XI

L’année 1489 vit l’achèvement d’une grande nef pour les Frères Galléan la Sainte Marie et Saint Raphael.

En 1556 sous le règne d’Emmanuel Philibert le gouverneur de Nice Paul Siméone ... « fit construire à ses frais sur la plage de Nice un grand et fort galion qu’il donna ensuite à l’ordre de Malte » et Gioffredo ajoute « voilà qui confirme…la compétence que Nice avait dans la construction de ce type de bâtiments et navires et dans leur achèvement. »

.

 

Fig2

En 1626 le Duc de Savoie Charles Emmanuel fait construire « au pré aux oies » une galère neuve baptisée Sainte Christine

Par la suite d’autres navires ont dû être y construits tout au moins jusqu’au règne de Victor Amédée II, devenu roi de Sardaigne en 1720, qui décida de transformer la darse de Villefranche en véritable port de guerre avec tous les équipements nécessaires et en navires de la simple barque de pécheur aux bâtiments les plus évolués ce qui nécessitais une main d’œuvre hautement qualifiée et diversifiée.

Ces constructions variées allant de la simple barque de pécheur aux bâtiments les plus évolués nécessitaient une main d’œuvre hautement qualifiée et diversifiée qui devait être disponible dans la cité.

Peu d’indications et de précisions sur la manière de procéder pour la construction de ces bateaux sont disponibles. Ils devaient être construits directement sur la plage et étaient ensuite amenés dans la rade de Villefranche pour y être terminés.

Cependant à l’intérieur de la ville existait également un arsenal où était fabriqués des navires peut-être moins importants, car Gioffredo dans son ouvrage déjà cité écrit pour l’année 1523, à propos des liens entre l’Ordre de Malte et Nice : « … souvent, les navires de l’Ordre apparaissaient dans la rade de Villefranche, et dans l’arsenal où sur la plage de Nice on leur en fabriquait des nouveaux ».

 

 

Doc1

Les hommes de Peille jouèrent un grand rôle dans ce transport comme on peut le déduire de la déclaration suivante que le viguier fit en leur faveur : « au nom du Seigneur amen l'an de la nativité du Seigneur 1264 induction 8 le 18 juin puisque pour les affaires que le Seigneur comte avait à faire et qui se faisaient à Nice spécialement pour la construction des galères qui se font ici le Seigneur Renaud de Croyac viguier de Nice et du comté de Vintimille a envoyé des hommes de Peille deux fois, trois fois, quatre fois et plus pour transporter le bois des galères soit autrement que sur ses propriétés et qu'ils l'ont fait aussi sur le territoire même du Seigneur Renaud »

La Santa Anna appelée également la Grande Caraque

Parmi tous les bâtiments construits par cet arsenal, un navire de guerre lancé en 1522 devint une célébrité; il s’agissait de la caraque Santa Anna appelée la grande caraque

Voici la définition d’une caraque

« Une caraque est un grand navire de la fin du Moyen Âge, caractérisé par une coque arrondie et deux châteaux à l’avant et à l’arrière, permettant un gros emport de charge. Elle est mise au point à l’époque des Croisades en mer Méditerranée, à partir du modèle de la coque, utilisée en mer du Nord et en mer Baltique, elle-même issue du bateau viking (dit « drakkar »). La caraque est un des premiers types de navires européens à pouvoir s’aventurer en haute mer, et elle est utilisée, aux côtés de la caravelle, par les navigateurs à l’époque des grandes découvertes ».

La santa Anna fut construite à Nice pour l’ordre des chevaliers de Rhodes et lancée en 1522 le jour même de la prise de Rhodes le 21 décembre par les Turcs de Soliman le magnifique.

L’ordre fut chassé de ce lieu et contraint à une longue errance avant que Charles Quint leur accorde le droit de s’installer à Malte en 1530.

Nice a eu de tout temps des liens étroits avec l’ordre des chevaliers de St Jean de Jérusalem appelés aussi chevaliers de Rhodes puis de nos jours chevaliers de l’ordre de Malte, après leur établissement sur cette île, à La Valette

Ils y possédaient une commanderie et s’arrêtaient souvent avec leurs navires à Nice ou Villefranche et ont fait construire plusieurs embarcations dans l’arsenal.

Dans l’attente « ils désiraient établir leur assemblée ou convent à Nice jusqu’à ce que leur situation se soit améliorée ce que le duc Charles leur avait accordé » d’après Gioffredo.

La santa Anna était devenue le navire amiral de l’ordre en remplacement de la Santa Maria (à ne pas confondre avec celle de Christophe Colomb)

Ce navire aux dires des historiens était particulièrement remarquable par sa grandeur son équipement et surtout par sa coque recouverte de plaques de plomb en dessous de sa ligne de flottaison, ce qui le rendait entièrement étanche et résistant aux armes de l’époque.

Il était en quelque sorte le premier cuirassé de l’histoire de la marine.

Voici la description qui en est faite par l’historien Giacomo Bosio dans Storia di Malta et reprise dans les Nouvelles annales de la marine, tome 27, 1862 à l’occasion de la prise de Tunis :

« Lors de la grande expédition organisée par Charles-Quint contre Tunis, en 1530, l’escadre commandée par André Doria comprenait une caraque équipée par les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et blindée en plomb. Cette caraque, la Santa-Anna, construite à Nice, contribua pour une grande part au succès de l’escadre ; sa cuirasse en plomb la mettait à l’abri de tous les projectiles incendiaires. On peut lire dans les Nouvelles annales de la marine, tome 27, 1862 :

Le célèbre André Doria commandait l’expédition. Après un siège de quelques jours, Tunis fut enlevé d’assaut, et la caraque cuirassée, nommée Santa-Anna, contribua beaucoup à la prise de la ville, attendu qu’elle pouvait impunément s’approcher à une distance où d’autres navires auraient été coulés en quelques minutes. Elle avait six ponts, une puissante artillerie et trois cents hommes d’équipage.

Il y avait à bord une chapelle spacieuse où tout l’équipage pouvait tenir, une sainte-barbe, une vaste salle de réception et une boulangerie, ce qui permettait, dit Bosio, de donner tous les jours du pain frais à l’équipage. Mais ce qu’il y avait de plus remarquable dans sa construction, c’était sa cuirasse de plomb fixée par des boulets d’airain, et cet appareil ne fut pas endommagé par les projectiles de l’ennemi, bien que le navire eût constamment été engagé dans l’action. »

Il faut noter que Bosio Giacomo dans « storia di Malta » limite le doublement en plomb à la partie sous la ligne de flottaison et non à l’ensemble de la coque

Il ne devait pas exister à l’époque de navire capable de l’affronter et encore moins de la couler

Bibliographie

Gioffredo Pierre : histoire des Alpes Maritimes

Bosio Giacomo : storia di Malta

Luc Thevenon : du Château au Paillon Serre éditeur

Nouvelles Annales de la Marine tome 27

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