Recherches Jacky Sarale
Mise à jour novembre 2022
Ce nom peut donc avoir un rapport avec un pape et la seule explication plausible semble liée à un passage en ce lieu d’un tel personnage.
Ainsi il est raisonnable de penser que lors d’un voyage en provenance d’Italie pour se rendre dans le comté de Nice ou en France ou parfois en Avignon cet itinéraire a pu être emprunté à l’aller ou au retour.
Mais pourquoi ne pas suivre « La route royale » quand elle était construite, ou la voie de mer plus logique et plus adaptée, plutôt que ce parcours difficile par des sentiers muletiers.
La première vérification fut de dater approximativement l’origine de ce nom qui figure sur les cartes actuelles, sur le cadastre de 1959 (Peille A1 doc 1) mais pas sur celui de 1865 (doc2). Sur celui de l’Escarène (B2, B3 et B4 doc 3,4 et 5) est porté un chemin dénommé « chemin de l’Escarène au Farguet et à la maison du Pape ».
Ci-dessus de gauche à droite: Doc 1 Peille section A1 date 1959, Doc2 Peille section A1 1866
Doc 3 Chemin de l'Escarène au Farguiet et à la maison du Pape Doc 4 Chemin de l'Esacrène au Farguet
Sur la carte d’Etat Major française de la fin du XIXème apparait la dénomination col del Papa (doc 6bis), mais pas sur l’italienne de 1865 où est noté une « maison du Pape » doc 6), proche du col.
La carte « des Archives Royales de Turin de 1762 » qui fait référence en la matière ne laisse pas apparaitre ce nom et indique « colla di Betto » (doc 7).
Ci-desus de gauche à droite: Doc5 chemin de l'Escarène au Farguet et à la maison du Pape section B3, Doc 6 Maison du Pape Carte Scarena EM italien 1865
Ainsi cette appellation est postérieure à 1762 il faut donc envisager le passage d’un pape dans une période comprise entre cette dernière date et la rédaction du cadastre soit sur une période d’un siècle.
Le voyage du pape Paul III se rendant au congrès de Nice en Juin 1538 est donc à exclure comme celui de Pie VI prisonnier du directoire mort à Valence en 1799 qui est passé par le Mont Cenis
Seuls ceux du pape Pie VII réalisés au début du XIX ème au nombre de 3 sont à retenir.
Le 1er pour le sacre de Napoléon 1er, mais qui ne l’amena pas à Nice, la traversée des Alpes se faisant par le Mont Cenis.
Le second en 1809 après avoir quitté Grenoble pour se rendre en résidence surveillée à Savone, il passa à Nice où il reçut un accueil triomphal.
Ci-dessus de gauche à droite: Doc 8 Croix du Pape sur la Grande Corniche, Doc 9 Plaque commémorative à Sospel, Doc 10 palais Ricci à Sospel, Doc 11 Emplacement supposé de la maison du Pape
Enfin le dernier du 9 au 11 février 1814 en venant de Fontainebleau où il était assigné à résidence forcée par Napoléon, pour retrouver ses états pontificaux, qui ne fut pas moins chaleureux que le précédent.
Pour ce dernier les relations de ce voyage indiquent qu’il voyagea jusqu’à Menton en voiture par « la nouvelle route de la corniche » (grande corniche) où un monument dénommé « La croix du pape » rappelle son passage (doc 8).
De Menton à San Remo le voyage se fit en chaise à porteur.
Il reste donc celui de 1809 qui l’amena de Grenoble à Savone par l’Escarène, Sospel, Tende et le Piémont.
Ce parcours n’est certes pas le plus court mais il fut choisi par le Colonel Boissard chargé de cette mission qui l’estimait plus sûr, la route qui fut empruntée en 1814 n’était alors pas encore praticable en voiture.
Il arriva à Nice le 7 Aout pour repartir dès le matin du 10 pour L’Escarène qu’il atteignit vers 11 heures. (Voir A ci-dessous)
Il resta jusqu’à 4 h de l’après-midi Maison Audiffret (actuellement Mairie) et arriva à Sospel vers 9 h du soir. « Le Pape coucha à la maison du Baron Ricci, sur la place de l'Eglise St-Michel, y dit la messe à 6 heures du matin, et vers les 7 heures, reprit la route de Tende » (sur la façade de cet édifice est apposée une plaque de marbre en mémoire de son séjour (doc 9 et 10).
La seule possibilité que l’origine de l’appellation Baisse du Pape soit consécutive au passage du Pape ne peut se situer que dans ce laps de temps.
Les relations de ce voyage indiquent que le pape partit de L’Escarène en voiture et emprunta la « Strada Réale » la seule accessible par ce moyen de transport et qui mène au col de Braus.
Une annotation du curé de Touët de l’Escarène le confirme (voir ci-dessous).
De ce col la voie normale et commode pour rallier Sospel est de continuer sur cette voie.
Passer par « la Baisse du Pape » nécessiterait de gravir 115 m de dénivelé positif supplémentaire sur un chemin non adapté et de là rejoindre le Col St Jean par le même genre de chemin (actuellement GR 510) soit 5,3 kms au total contre 5,8 km par la voie normale qui elle est toute en descente.
Il est donc difficile d’imaginer que le colonel Boissard ait pu choisir cette solution, sauf évènement particulier ou erreur difficilement envisageable, avec retour au Braus, ce qui de toute façon aurait nécessité l’abandon de la voiture.
D’autre part, le choix, dès l’Escarène de rejoindre Sospel, par ce col ou Baisse n’était envisageable malgré ses difficultés, que si le trajet s’était fait en chaise à porteur, ce qui ne fut pas le cas même s’il aurait permis de l’écourter (12,6 km contre 21,1 km).,
Ainsi il est certain que l’appellation de Baisse du Pape, du fait du moyen de transport utilisé, des récits des contemporains, de la topographie des lieux ne peut provenir du souvenir d’un passage du Pape Pie VII en ce lieu.
Il en est de même pour la maison du Pape. Les coordonnées de ce bâtiment (43º51'06.9"N 7º24'29.5"E) indiqué sur la carte d’état-major italienne correspondrait à un emplacement situé là où a été construit un ouvrage militaire et pourrait correspondre à la parcelle 53 de la section A1 du cadastre de Peille de 1866 dont les caractéristiques (nature, propriétaire) n’ont pu être vérifiées car la page de l’état de section où elles devraient figurer est absente.
Sur les cadastres plus récents un bâtiment en ruine est mentionné et correspond après vérification sur place à un poste de garde bâti en même temps que l’ouvrage souterrain inachevé servant de dépôt de munitions (doc 11). Cette nouvelle construction a dû nécessiter la destruction de l’ancien.
Reste à connaitre les motifs de ces erreurs, volontaires ou non, qui ont laissé leur trace jusqu’à nous après 200 ans, sur les cartes, sur le cadastre et de manière bien précise, avec noté « maison du Pape, chemin de l’Escarène au Farguet et à la maison du Pape, Baisse du pape »
Le passage de ce Pape qui a donné lieu tout au long du parcours, à des manifestations de joie, de recueillements et de piété a dû laisser des souvenirs intenses dans la population et ont peut-être conduit à vouloir perpétuer ce souvenir en l’inscrivant dans la géographie de leur contrée, au détriment de la réalité.
Mais alors pourquoi un tel événement inhabituel n’a-t-il pas plutôt donné naissance à l’érection d’une croix ou à la pose d’une plaque commémorative comme d’autres faits historiques l’ont été pour en perpétuer le souvenir.
Voici quelques extraits de documents écrits relatant ce passage dans notre région, tirés des « annales de la société des lettres sciences et arts de Nice , tome XIX de 1905, article Pie VII dans le Comté de Nice en 1809 et 1814 d’après les documents contemporains par l’Abbé A.J Rance-Bourrey » consultables sur le site de la BNF.: ark:/12148/bpt6k5688421p
A
NICE
« Le 7 août, vers midi, le voyageur arriva aux portes de Nice. Contraint, sous un soleil brûlant, à traverser à pied un pont sur le Var, il trouva devant lui plusieurs milliers de personnes agenouillées à même le sol. Parmi elles, la jeune reine d'Etrurie, fille de Charles IV d'Espagne, détrônée elle aussi par Napoléon, attendait avec ses deux enfants la bénédiction pontificale. Le vieillard étendit la main au-dessus des fidèles : aussitôt les acclamations fusèrent de toutes parts. - La ville entière fêta l'exilé. Le soir, à la nuit tombante, des barques furent illuminées en son honneur. De tous côtés, des voix appelaient le Saint-Père, installé à la préfecture. L'enthousiasme grandit lorsque celui-ci se montra à son balcon. La nuit, un bon nombre de paysans restèrent dehors afin d'apercevoir au petit matin Sa Sainteté, lors de sa montée en voiture. Tout le long de la côte, les ovations continuèrent. Ces manifestations de piété attendrirent le Pape, sans toutefois lui faire oublier l'amertume de ce voyage forcé, ni sa situation de pontife prisonnier. Enfin, le 17 août, la petite escorte arriva à Savone. Depuis quarante-trois jours, le vieillard circulait sur les grand-routes, par une chaleur torride. Il avait hâte de trouver un toit et de se reposer de ses fatigues. Conduit dans la maison du Maire, il se coucha bien las et anxieux de l'avenir. Son grand souci était moins d'avoir été arraché de son palais du Quirinal que de se voir séparé de ses conseillers naturels : les cardinaux. Le vieillard ignorait encore quelle torture serait sa solitude morale au cours des mois où l'Empereur mettrait tout en œuvre pour venir à bout de sa résistance. B. MELCHIOR-BONNET »
« Vers 11 heures du matin (7 août 1809) la voiture du Souverain Pontife arriva à la tête du pont. Elle s'arrêta. Pie VII mit pied à terre et dut passer le pont, sous un soleil brûlant. Un bourgeois de Nice, dont la tradition populaire a conservé le nom, Antoine Bues, orfèvre 1, offrit son parasol au Pape, qui l'accepta, remercia d'un sourire et lui permit de l'accompagner dans tout le trajet du pont qui est fort long, comme l'on sait. Au milieu du pont, l'Evêque de Nice se présenta avec la Reine d'Etrurie et l'Infant Louis. Ils se précipitèrent ensemble aux pieds du Saint Père, en pleurant et sans pouvoir articuler une seule parole. Pie VII prit le jeune Prince dans ses bras, l'éleva vers le ciel et sembla implorer la fin de ses infortunes. La Reine ne put prononcer que ces mots : « Très Saint Père, que les temps sont changés ! » « Ayez courage, ma fille, répondit le Pape. Nous ne sommes ni à Florence, ni à Rome. Pourtant, tout n'est pas amertume. Voyez ce peuple et écoutez ses transports
La foule des spectateurs était immense, mais le plus grand ordre a régné. Des larmes de tendresse ont coulé de tous les yeux, et les quatre voitures du cortège ont quitté Nice, pour se rendre à Savone ».
B et C
L’Escarène et Touët de l’Escarène
« Les habitants de toutes les communes voisines ont accouru sur la route : on a placé les cloches sur les arbres, préparé des boîtes et tout le monde se prosternait, pour recevoir la bénédiction du Saint-Père. Aussi la marche de la première journée a-t-elle été lente, car le Pape n'est arrivé à Sospello qu'à 9 heures du soir 1. »
« Durante rapporte qu'avant de quitter la Préfecture, Pie VII fit ses adieux aux personnes dont il avait le plus apprécié les soins et le zèle, en leur exprimant ses remerciements. La foule suivit longtemps les voitures qui filaient rapidement sur la route de l'Escarène. Boissard n'avait pas dit où il menait le Saint-Père
Pie VII arriva à l'Escarène vers les onze heures du matin, s'y arrêta pendant 4 ou 5 heures, à la maison de M. J.-B. Audiffret, et repartit vers 4 heures du soir pour Sospel
La grande route de Nice à Turin fut achevée en 1788. Elle remplace un ancien chemin muletier. Elle passe par la Trinité, Drap, l'Escarène, Touet, Sospel, la Giandola, Fontan et le col de Tende. Ce fut la route suivie par le Pape en 1809. Les registres paroissiaux de l'Escarène et de Touet-Escarène contiennent, à ce sujet, des notes relevées par M. Henri Sappia, qui les a mises gracieusement à ma disposition ».
« Le Pape Pie VII, dit-il le 10 août 1809, à onze heures du matin, venant de Nice, descendit à la maison de M. J.-B. Audiffret, y dîna et repartit le même jour, vers les quatre heures de l'après-midi, ainsi qu'il résulte de la note insérée par le curé. Ardoino (au folio 77 du Registre des actes de baptême de la paroisse, qui commence le 23 mai 1803 et qui s'arrête le 18 septembre 1831) ».
« Le Pape, en souvenir de son passage, octroya plusieurs indulgences, entre autres celle de quarante jours à tous ceux qui auraient visité jusqu'au dimanche entre l'octave de l'Assomption, les croix de Saint-Roch, hors du village et l'autre du pont, élevées à la fin de la mission prêchée cette année même, dès le soir 4 au matin 25 Mai , par le théologien Antoine Sauvaigo, de Nice, chanoine pénitencier, les abbés Louis Guigo de Vénanson, curé d'Aspremont, et Louis Milon, de Nice, recteur de la succursale de Saint-Etienne aux portes de Nice » Nice Historique, 15 avril 1904, p. 118..
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« Au livre des baptêmes de Touët-Escarène, on lit au folio. 11, l'annotation suivante : L'an mil huit cent neuf, le dixième du mois d'août, est passé par cette Commune, de retour de France, S. S. le Pape Pie VII, accompagné de Mgr Doria, à quatre heures du relevé, et relevé, et cela en mémoire de la postérité.
Au Registre des mariages, au fol. 7, on lit : « L'an mil huit cent neuf, le dixième du mois d'août, passant par cette Commune, le Saint-Père Pie VII (Grégoire Barnabé Chiaramonti), de retour de France, le recteur de cette succursale, le sieur Alexandre Boglio, lui demanda l'indulgence plénière pour la fête de Saint Honoré, évêque d'Arles, patron et titulaire de cette Commune. Sa Sainteté, vivse vocis oraculo, l'accorda pour sept ans ; et, pour mémoire de la postérité, on l'a inséré dans ce livre ALEXANDRE BOGLIO, recteur »
Sospel
« Dans cette ville, l'accueil de la population fut enthousiaste et une curieuse lettre de l'archiprêtre de St-Michel de Sospel, M. Joseph Alberti, datée du 11 août 1809, nous a conservé de touchants détails, tout à l'honneur de l'esprit religieux des habitants de cette petite ville. Le Pape coucha à la maison du Baron Ricci, sur la place de l'Eglise St-Michel, y dit la messe à 6 heures du matin, et, vers les 7 heures, reprit la route de Tende ».
Traduction résumée de la lettre du curé de Sospel du 11 Aout 1809, â son frère, relatant le passage du pape
..J'ai rassemblé tout le clergé pour nous rendre en cortège nous tous ecclésiastiques au nombre de 35 à la rencontre du Pape à la première heure de la nuit à la lueur de nombreuses torches, accompagnés d'une grande foule. Nous l'avons attendu devant la chapelle de Santa-Anna (ndlr : près du cimetière) le long de la route impériale (ndlr : anciennement route royale). Quand le Pape est arrivé devant la croix il s'est arrêté il nous a béni puis nous avons rejoint le palais Ricci où le Pape après s'être installé ordonna que je me présente à lui.
J'ai baisé sa main et me suis prosterné à ses pieds, imité en cela par tout le clergé et par la foule des fidèles. Puis le Pape s'est retiré dans sa chambre pour prier.
Apres vers 11h j'ai dîné avec Monseigneur Doria, le Médecin et le Colonel.