Point du Ramingao à Roquebrune Cap-Martin

METAYAGE ET SPECULATION SELON HAWKINS

Mise à jour février 2022

Page 76 - …Un paysan du nom d’Isnard dans l’Arrondissement de Grasse avait une petite propriété. Quatre mauvaises années de récolte d’olives furent le début de ses ennuis, mais elles furent suivies par la mort de sa mule. Isnard lui-même tomba malade et finalement il mourut, laissant derrière lui un procès, une veuve, une fille handicapée, deux hypothèques et trois fils. L’un d’eux, le plus jeune était cocher à Marseille, le second faisait son régiment à Nice. Paul le plus vieux avait toujours vécu et travaillé à la ferme.

Il fallut partager la propriété. On tint un conseil de famille et on se mit d’accord pour vendre la terre. Elle n’était pas plus tôt sur le marché qu’elle fut achetée par ce que Paul appelait la « Bande Noire », par quelques notaires propriétaires de maisons à Grasse, Draguignan et Toulon qui devinrent propriétaires soit individuellement soit ensemble.

La vente fut effectuée en environ trois semaines. La veuve et la fille s’en allèrent aussitôt. Elles prirent une chambre dans la plus proche petite ville où elles avaient quelques relations et elles subsistèrent là.

Là elles se tenaient près des chapelles, cueillaient des olives, ramassaient du fumier sur la route et assistaient aux enterrements, cependant qu’elles faisaient chauffer leur café dans la sombre petite rue. Paul, l’ainé n’était pas en bons termes avec elles car il avait souvent dit de vilaines choses sur sa sœur dont la bosse l’avait laissée célibataire et dont la présence dans la maison l’avait empêché d’amener une femme à son domicile.

Il prit la décision de se proposer comme métayer pour la vieille maison et la ferme et sa proposition fut acceptée. Il publia les bans pour son mariage avec Micheline Bazin organisé sans délai. Que tous aient pu vivre sur la ferme matrimoniale était hors de question pour Paul. Il y aurait trop de bouches à nourrir. Mais maintenant Micheline et lui essayaient de vivre sur la propriété.

Ils se marièrent et ils priaient pour que le propriétaire ne mette jamais les pieds dans la maison…

… Ensuite il se mit à se préoccuper de différentes choses et des querelles commencèrent à se produire car il n’y a pas de point où une dispute ne peut survenir.

C’est le propriétaire qui doit acheter le mulet et son harnais, payer les taxes sur les fenêtres, fournir un nouveau seau et une chaine pour le puits. Si le mulet perd un fer, c‘est le propriétaire qui doit payer la facture du forgeron et même si l’animal meurt, il n’est pas difficile de prouver que c’était pour le service exclusif de « lou patroun » qu’il a perdu la vie. Sur le produit des olives le métayer gagne seulement un tiers mais ensuite il n’a pas à payer l’élagage. Cependant sur les céréales il s’assure de la moitié. Les impots (taxe sur les fenêtres et autres) sont tous payés par le propriétaire et sur les droits d’octroi qui pesaient si lourd sur Paul et son père, le patron paie la moitié de la dépense quand du bétail vivant ou de la viande sont apportés au marché. En bref le système représente des arrangements les plus minutieux et compliqués, tous étant favorables au métayer.

C’est notamment favorable si l’intérêt commun entre le propriétaire et le locataire est constitué par du cheptel ou location de bétail.

Car dans le cas où le locataire arrive à la fin du bail il perçoit la moitié de la valeur additionnelle, s’il peut prouver que grâce à lui la propriété a été valorisée.

C’est ainsi et on vous dit souvent que la terre devrait appartenir à l’homme qui s’en occupe à la sueur de son front

En considérant que toutes les avances, toutes les taxes sont payées par le propriétaire, l’injustice de cette solution est énorme et personne ne devrait être plus convaincu de cette injustice que Paul qui vit maintenant confortablement comme métayer sur cette terre où son père s’est ruiné en tant que propriétaire. Beaucoup de juges sont de l’opinion que le métayage est un obstacle au progrès de l’agriculture et tout le système a été critiqué par d’autres qui oublient qu’il y a là des moyens de préserver l’ordre social.

Quand Paul dont nous avons parlé est partenaire avec son propriétaire, leur communauté d’intérêt est meilleure qu’un antagonisme figé, sous le système ordinaire du loyer où que la lente ruine des charges dans les mains d’un petit et misérable propriétaire.

Tous les propriétaires sont loin d’être ruinés. Au contraire certains cultivateurs autour de Grasse sont riches et étant propriétaires eux-mêmes ils n’ont aucune récrimination envers la classe supérieure qui représente un danger dans les contrées ou la propriété du sol est concentrée en un petit nombre de familles…

Ce sur quoi ils se plaignent c’est la base sur laquelle les taxes sont prélevées, et que le fisc doit être payé à chaque changement de propriété. C’est exactement ce qui se passe quand la mutation provient d’un achat ou d’un héritage…

Le prix de la terre dans les Alpes Maritimes varie suivant les localités. Dans le voisinage des villes il atteint des montants que nos grands-parents auraient considéré comme fabuleux. Cela est dû à la spéculation sur la possession de maisons qui a atteint un niveau inégalé jusqu’à la Pentecôte 1883. Personne ne continuera à produire des olives dans un champ pour lequel on peut obtenir de 3 à 60 francs le mètre et il n’y a pas un Naboth ou une tête dure pour refuser de se séparer de sa vigne si un anglais lui offre pour l’acheter un prix variant entre 60 et 100 francs le mètre. Je suis surprise que pas plus de capital n’ait été investi par des spéculateurs sur des roseraies ou des fermes laitières. Un arrosage par des eaux usées paierait rapidement son investissement en produisant des primeurs pour lesquelles le climat et la petite culture à la bêche et à la houe sont si bien adaptés.

Tout étranger est frappé par le terrible « begu » à deux dents, instrument grâce auquel le laboureur peut creuser une tranchée de deux pieds de profondeur.

Il se tient devant son sillon ramène la terre vers lui pendant qu’elle s’entasse. Les vignes et les roseraies sont labourées de cette façon et le sol ainsi préparé est prêt à recevoir ce qui lui convient aussitôt. Bien que l’effort physique de cette méthode soit important on peut penser qu’il convient mieux que le travail plus doux et répété de la charrue. La règle ici est de fumer tous les quatre ans mais les plantes sauvages abondantes et les restes de trèfle constituent un engrais naturel pour le sol

Dans certains endroits près de Nice, le terreau est à la fois extraordinairement profond, exempt de pierres et riche en fer, mais les rosiers et les violettes comme les orangers sont très gourmands et ils demandent un paillage avec les engrais les plus fertilisants.

Les champs ainsi cultivés se trouvent généralement dans le voisinage des villes…

C’est malheureux qu’à l’heure actuelle la Société Foncière Lyonnaise ait tourné toutes les têtes provençales. Maintenant des rues et de boulevards continuent à s’étendre dans toutes les directions et avant longtemps les vallées de la Siagne à la Roya formeront une masse continue.

Des fortunes seront faites et aussi défaites. « grande facilité de paiement » est une charmante publicité mais elle signifie en réalité  un système de  pari en lots de terrains au lieu de parts et ainsi a ruiné et maintenant conduit à la ruine un grand nombre de propriétaires et de potentiels propriétaires des Alpes Maritimes

 

 

Bibliographie

 

Charlotte Louisa Hawkins Dempster - The Maritime Alps and their seabord

Longmans Green and Co – London 1885