Mise à jour juillet 2023
Sur Internet on trouve plusieurs ouvrages sur le conventionnel mais Charlotte Dempster qui a longtemps vécu à Cennes au XIXème siècle et qui avait des relations à Grasse a écrit un article sur cet homme politique
Traduction Page 96 et suivantes
Né à Grasse en 1758, il appartenait à son environnement industriel.
Marié avec une fille de Draguignan il commença un travail de savonnerie à Saint Raphael.
Là le travail ne marcha pas bien et Isnard peut compter peut-être parmi les victimes de ces blessures d’amour-propre dont Chateaubriand assura qu’elle produisit tant de glorieux héros de la Révolution.
En tout cas, sa femme (Mademoiselle Clairon) (voir note) se plaignait et semble n’avoir eu aucune idée de la carrière qui s’ouvrait devant son mari et qui allait donner une terrible immortalité au nom du Conventionnel Isnard.
Ses premiers discours publics lui valurent tellement d’ennemis qu’il dut s’enfuir en Italie et toute sa carrière fut celle d’un opposant. Il était contre tout autre homme qu’il soit membre de l’assemblée législative ou parmi les girondins ou comme proscrit jusqu’après la chute de Robespierre.
En lui, comme dans la famille de Mirabeau on trouve le don provençal de l’éloquence, comme les qualités d’un tribun et un art de la parole se prêtant à toute sorte d’argumentation.
Son premier grand discours contre les prêtres qui refusaient le serment le voua à l’exécration de tout le parti royaliste et clérical.
Ils l’accusaient d’athéisme. Il réfuta l’accusation, car comme disait Danton, « nous n’avons pas détruit la superstition pour trouver l’athéisme »
Ce fier tribun conservait quelque sorte de religion.
La réponse d’Isnard était « J’ai regardé de haut la face de la terre, je ne suis pas idiot. Je crois en Dieu mais la loi est aussi une divinité pour moi.
Les mots sont remarquables quand on se souvient combien de multitudes devaient succomber avant que Maximin ne se rangeât lui-même du côté de l’ordre. Il écrivit un papier sur l’immortalité de l’âme et le dédia au très solide pape Pie VII.
De bonne heure sa défense de la Révolution fut un chef d’œuvre d’éloquence.
Il entendit ses opposants le blâmer parce qu’il avait apporté non la paix mais une épée.
« Quoi, cria-t-il, vous croiriez que cette Révolution, la chose la plus étonnante qui ait jamais brillé sous le soleil, qui a enlevé son sceptre au despotisme, à l’aristocratie sa canne et à la théocratie ses trésors amassés, qui a déraciné le chêne de la féodalité et réduit les prérogatives du parlement, qui a tordu le bras de l’intolérance, enlevé le froc du moine et le pair de son piédestal, qui a honni le porte-monnaie du receveur des taxes, et fait trembler les talismans de la superstition, que cette Révolution disais-je qui est prête à aller de l’avant et à réveiller toutes les nations, à faire courber toutes les couronnes devant la loi, et ainsi répandre le bonheur sur la terre, vous croiriez peut-être que cette Révolution doit s’accomplir dans la paix, vous croyez peut-être que personne n’essaiera de protéger une telle naissance.
La Révolution française doit aller à son accomplissement ».
On peut imaginer avec de telles paroles tonitruantes prononcées avec une voix de stentor, la terreur de toutes les belles femmes et des beaux messieurs dont les chaises à porteur étaient transportées dans les rues de Grasse quand il la quitta tout d’abord pour aller faire du savon à Saint Raphael.
On peut imaginer tous les buveurs de chocolat, les joueurs de cartes, cette société portant perruque et mouches, s’évanouissant devant ces paroles féroces comme les feuilles mortes dans un orage de novembre. Il y a une allusion aux bois d’oliviers de Grasse dans une des plus grandes invectives d’Isnard.
Quand, envoyé pour une commission d’enquête à Marseille après la chute de Robespierre il se dressait contre la violence de la Montagne et les crimes de Fréron dans un passage que Cicéron ou Junius pourraient avoir envié.
« A chaque pas que je fais dans le Midi je trouve des marques de sang versées par vous. Chaque âme humaine vous dénonce.
Même les pierres crient contre votre cruauté et où que j’aille je rencontre le crime, je rencontre Fréron. Je vois des tours écroulées et je demande : est-ce que le tonnerre du ciel les a fait tomber ? Non, c’était Fréron. Quelle main a renversé ces portes. C’était Fréron. La nuit dernière même, j’ai rêvé que je rencontrai le pâle spectre du crime errant parmi les échafauds des égorgés et c’était Fréron.
Mais pour vous les oliviers qui peuplent joliment ma terre natale n’ont pas cessé d’être les emblèmes de la paix ».
Isnard n’a jamais oublié son pays natal et après le 18 Brumaire il sollicita du Premier Consul le poste de Receveur des finances à Grasse.
« Donnez à ce loup un os à ronger » furent les termes peu flatteurs dont Bonaparte gratifia la requête, mais il conféra aussi au Conventionnel le titre de Baron qu’Isnard reçut avec humilité.
Le ruban à porter sur son vêtement lui aliéna nombre de ses anciens amis et une fois de plus Isnard se trouva en antagonisme avec ceux qui avaient démarré dans la carrière avec lui.
Ronhard qui représentait Grasse à l’assemblée législative était particulièrement choqué par la contrition de l’ancien loup et un jour qu’Isnard l’informait avec quelque emphase qu’il allait « dans son temple adorer l’Eternel », le Docteur répliqua insidieusement « puisse-t-il oublier que tu fus un criminel »
C’est difficile pour l’Histoire de l’oublier et on est tenté de préférer à une telle attitude de décorum l’attitude sur l’échafaud de Danton qui en mourant confessa « j’ai institué un infame tribunal et j’en demande pardon à Dieu et aux hommes ».
Le beau château du Baron Isnard et les hauts murs de son parc sont aussi un curieux exemple de ce que la capitale de la France a renié les principes de la Révolution et les étrangers pourraient se demander sur quel bord de la Seine se trouve Paris.
Nous les avons vu tous deux, Louise de Mirabeau Cabris et Maximin Isnard se diriger par des voies étranges vers une tardive repentance mais le XIXème siècle n’a produit aucun citoyen à Grasse qui appartienne à la même race de géants.
Isnard est mort en 1825 et son petit-fils l’actuel Baron Isnard qui est le dernier descendant direct n’a pas d’enfant.
Madame de Navailles (née Cabris) n’a pas laissé d’héritiers et la race de Mirabeau, si l’on exclue le fils illégitime de l’orateur qui porte le nom de Montigny, est maintenant représentée seulement par deux petits enfants du frère du Vicomte connu comme « le tonneau »
Note :
Le nom de jeune fille de la femme d’Isnard était Madeleine Clérion et non Clairon
Bibliographie
Charlotte Louisa Hawkins Dempster - The Maritime Alps and their seabord Longmans Green and Co – London 1885