Point du Ramingao à Roquebrune Cap-Martin

ABBAYE DE SAINT HONORAT ILES DE LERINS CANNES AVANT 1780

Mise à jour mars 2024

Traduction de l'ouvrage de Charlotte Dempster Hawkins

Charlotte Dempster Hawkins () cite très peu ses sources. Sur Internet on trouve de la documentation sur l’histoire du monastère et notamment sur le travail de H Morris et Ed Blanc. Une exposition aux archives départementales des Alpes maritimes a eu lieu du 15 octobre 2018 au 31 janvier 2019 retraçant de façon détaillée l’histoire de l’ile. Le texte de Ch. Dempster Hawkins qui a longtemps vécu à Cannes au XIXème siècle recoupe en partie les textes connus mais on ne sait pas où elle a puisé des détails plus personnels

Traduction : page 158 et suivantes

Si nous laissons en arrière le temps de la légende et de la tradition, pour atteindre la date où Amand comme premier prieur de Lérins régnait sur 3700 moines et substitua la règle de Saint Benoit aux simples premiers statuts du fondateur. Avec ces modifications la règle continua à être observée sur l’ile et dans les maisons sous sa dépendance jusqu’au temps ou les congrégationnistes non réformés de Saint Maur ou les cassinistes de Padoue aient suffisamment de charme pour attirer des disciples au couvent de Saint Honorat. Nous approchons maintenant de l’époque de Charlemagne où entre ses conquêtes et celles de Clovis il y a toute la différence entre le pouvoir et la brutalité. L’esprit du grand empereur était même plus puissant que l’épée qu’il avait maniée durant sa vie et qui est ensevelie avec lui à Aix la Chapelle. Il a fait la guerre contre le barbarisme, et pour dissiper sa noirceur, il a fondé des écoles.

Un autre de ses grands desseins était l’unité du clergé et de le placer sous sa sauvegarde et le pouvoir temporel qu’il a en premier garanti aux papes.

Sur ces deux piliers, l’éducation et l’uniformisation il projeta d’établir un empire plus durable que ses campagnes et même que sa vie. Son neveu Saint Bernard ? visita une fois Lérins et nous pouvons être sûrs que le noble monastère n’échappa pas à l’attention ou à la sympathie de l’empereur.

Les possessions mondiales du couvent s’accrurent, ses chapelles devinrent fameuses et des pèlerins de toutes les régions de France ou d’Allemagne visitèrent ses sept sanctuaires. Celui qui les visita sept ans plus tard reçut une branche de palme du prieur avec l’assurance du pardon de ses péchés dans ce monde et dans l’autre.

Il vivait une fois dans les montagnes de Provence un pauvre homme qui s’étant déjà rendu six fois demanda à son maitre de faire une septième et dernière visite à Saint Honorat. Mais son maitre était quelqu’un qui ne craignait pas Dieu et qui n’avait pas de compassion pour les serviteurs à qui il ordonnait avec rudesse de s’occuper des cochons et de ne pas parler de se rendre aux sanctuaires de Lérins. Le pauvre gardien de porcs, après avoir pleuré et s’être lamenté tomba dans un profond sommeil. Dans son sommeil il rêva à l’ile merveilleuse. Alors ses oreilles furent charmées par le chant des psaumes et par le doux murmure de la brise marine dans les pins.

Il oublia son mauvais sort et le mauvais caractère de son maitre aussi sale que son troupeau, quand il reçut avec ravissement du prieur les palmes qui ornaient le septième pèlerinage aux sept tombeaux de Lérins. Soudain il s’éveilla. Il était au bord d’un bois de chênes lièges. Les porcs tranquilles croquaient des glands autour de lui. Les sanctuaires de l’ile étaient loin et aucune cloche ne sonnait pour les prières. Eh bien voilà, près de lui gisait la palme très convoitée car un ange l’avait portée pour le réconforter.

Les dépendances du monastère de Lérins s’étendirent graduellement tout le long de la côte de Gênes à Barcelone, mais comme ses richesses s’accroissaient les sanctuaires couverts d’argent et les reliquaires avec les joyaux s’accumulaient sur l’ile, le couvent devint une tentation toujours plus grande pour les pirates. Dès le début du huitième siècle, le chef maure Moussa ravagea la côte et ne rencontra presque pas de résistance.

En fait la Gaule quand elle fut en possession des Francs, des Burgondes et des Wisigoths, était la scène de tels désordres qu’elle était incapable de se défendre et laissait le champ libre aux normands, sarrasins et vandales qui pouvaient saccager et piller à volonté.

A l’époque du faible Louis le débonnaire (814) vécut le célèbre Haroun Al Raschid dont les pirates non seulement débarquèrent en Provence et en Corse mais portant la terreur sur les bords du Tibre brulèrent la basilique de Saint Paul hors les murs à Rome.

En 846 ces pirates débarquèrent dans l’Estérel et après s’être établis à Garde Fraxinet (la Garde Freinet) entre Fréjus et Hyères, ils poussèrent jusqu’en Dauphiné et même dans la Bresse.

En 940 Fréjus fut saccagé par les Maures et en 972 ils firent prisonnier Saint Mayeul.

Chaque mouvement provoque un contre coup et il n’y a pas de doute que ces constantes invasions des sarrasins firent beaucoup pour stimuler les pieuses passions des croisés.

Elles éveillèrent en son temps le patriotisme de Guillaume, Comte de Marseille de Gibelin de Grimaldi et d’isarn évêque de Grenoble. Ils sentirent combien était décisive pour eux la question de savoir si l’Europe devait être sujette ou non à une emprise sémitique. Ils levèrent des troupes et délivrèrent leurs régions des envahisseurs qui avaient pris pied solidement dans le sud de la France pendant plus de cent ans.

Mais les moines de Lérins n’avaient pas de troupes et ils avaient des trésors. Par conséquent il devint nécessaire pour eux de construire une solide position où se retirer en cas de menace par le feu ou par l’épée. L’abbé Aldebert II commença la tour carrée vigie de Cannes et en 1088 le château de Lérins était construit. C’est, dit Lenthéric le vrai type de ces bastions à la fois militaires et religieux qui, du onzième siècle au quatorzième s’élevèrent sur les côtes de Provence. En eux chaque détail rappelle les passions et les violences du Moyen Age, de ces siècles si pleins de vigoureuses convictions. Toutes les pierres employées pour ce bâtiment maintenant démantelé sont les souvenirs mutilés de l’époque romane. Le bâtiment est maintenant une coquille mais il est néanmoins remarquable pas ses proportions. Toutes les colonnes sont antiques et sur une on peut lire le nom de Constantin pendant que d’autres blocs semblent avoir appartenu aux pierres tombales des premiers colons. Cette grande tour servait de vigie comme une balise, comme arsenal et comme bibliothèque.

Elle ne fut certainement pas bâtie assez tôt et n’eut pas de chance si l’on en croit le terrible massacre de 1197. Cela arriva à l’époque de la pentecôte et Saint Ambroise donna une description de l’ile. « Parmi de si frais printemps et de tels bosquets feuillus de telles vues souriantes et de tels airs ambiants la terre semble un paradis ouvert »

Toute la nature était sereine et les festivités de l’année chrétienne suivaient leur cours Mais saint Porcaire, l’abbé de Lérins était inquiet. Il avait été averti par une vision d’un danger menaçant la communauté. Ce ne pouvait être un simple mauvais rêve et cela devait être une intuition envoyée par le Paraclet dont l’Eglise invoque et n’invoquera jamais en vain les sept dons de sagesse.

Ils devaient enterrer leurs trésors et recommander leur âme à Dieu dans les mains duquel sont les destinées les plus grandes et les plus obscures. La vision fut avérée et seulement bien trop tard. L’abbé disait la messe quand les cris des pirates interrompirent brutalement le chant du chœur ; les corsaires avaient atterri. Les turbans blancs et les faces sombres des pirates étaient déjà à la porte et cinq cents moines dont Saint Porcaire gisèrent à terre ce jour-là. Bien plus furent embarqués comme esclaves. Les maures victorieux n’ayant laissé, comme ils croyaient aucune âme en arrière sur l’ile firent voile vers Agay. Là quatre de leurs prisonniers chrétiens réussirent à s’échapper. Ils se cachèrent d’abord dans la forêt de l’Estérel et puis reprirent la route de Lérins où ils furent accueillis par deux compagnons qui pendant le massacre s’étaient arrangés pour se cacher dans les rochers. A partir de ce petit noyau la vie du monastère devait renaitre.

Il peut ne pas être inintéressant à quiconque veut prendre la peine de lire ces pages sur l’ile de tenter de réaliser à quoi ressemblait ce grand monastère médiéval. La première chose qui frappe les yeux est la forme principale carrée de la construction avec ses cloitres sur un côté où l’église fut construite. A l’intérieur de l’église se trouvait le chœur avec sa clôture où les frères s’asseyaient dans leurs stalles et dont le son des chants émanait quand les moines répétaient les psaumes de vêpres et le pathétique office des morts. Il y avait dans ce carré une grande école, le puits, la bibliothèque, l’hôpital, les chambres pour les hôtes et les logements de l’abbé, du prieur et des novices. Avec le dortoir, les réfectoires, les étables, les presses pour le vin, les celliers, la buanderie, la table d’hôtes, le fruitier, la cuisine ; la forge, les salles pour le tissage, la salle d’abattage, des baraques et les porcheries, le couvent couvrait un grand espace de terrain mais il n’y avait pas de moulin sur l’ile et pas de vignobles. Les moulins à farine étaient à Mougins et leurs champs étaient à l’Abadie près de Pégomas pendant que les vignobles étaient près de la maison d’été à Vallauris. Les personnages importants de cet établissement avaient beaucoup de tâches à exécuter et il était nécessaire d’avoir des grades de diverse importance. Passons en revue et imaginons de les voir vivre dans leurs habits noirs.

Il y avait d’abord l’abbé généralement un Grimaldi ou un Castellane ou un cadet d’une grande famille locale comme les Villeneuve

2 le vice général

3 le prieur du cloitre qui tenait les clés de la maison, de l’église, des chapelles, du château et des logements

4 l’aide prieur

5 le sacristain. Son rôle était de vérifier que la lampe brulait continuellement devant l’autel. Il devait approvisionner l’huile dans ce but, l’encens et les chandelles utilisées pendant le service aussi bien qu’un grand cierge de cire rouge qu’on allumait le jeudi saint et qui brulait jusqu’à la Pentecôte

6 le doyen dont la présence sur l’ile était obligatoire  

7 le camérier. Dans se attributions était l’ameublement des cellules et des chapelles

8 le pitancier qui percevait les droits de la Napoule évalués du temps de Balthasar Moricaud à 2000 livres.

9 Le vestiaire qui devait prévoir la serge pour le tissage et les cintres, les vêtements d’autel et les habits

10 le cabiscol ou precenter (voir note) traduit par chef de chœur. Les chantres et les choristes dépendaient de lui. C’était son travail d’entrainer les voix et de diriger les services musicaux du couvent. La préservation et la préparation de toutes les choses et instruments le concernaient.

10 l’infirmier. A lui étaient confiés les quatre instruments chirurgicaux, la sonde, la lancette, le rasoir et les pinces. C’est lui qui préparait les onguents blancs et d’or et pour cela il ramassait les plantes les plus réputées. Ses pots étaient pleins d’électuaires, pendant que des bouquets d’herbes et des rouleaux de tissu étaient prêts à être utilisés pour l’hôpital. Il accordait foi à certaines époques et saisons et la combinaison des planètes comme favorable pour la production de ses remèdes. Il pensait que la folie dépendant de la lune mais tenait la mélancolie comme pouvant être traitée par la bourrache, l’hellébore, le mille- feuilles et la pimprenelle cependant que le rest-harrow (ononis repens) soignait le delirium, et la centaurée chausse-trappe stoppait la peste. Pour soigner ces troubles il abandonnait des remèdes tels que l’estragon ou l’absinthe. La grande camomille servait pour les fièvres du pauvre.  Il avait droit à toutes les aumônes collectées à Cannes à la fête de la Toussaint et des morts, pendant que les terres du Cannet étaient spécialement consacrées à son infirmerie. On pense généralement qu’il y avait une maison de convalescence dans cette localité abritée sous la protection des deux fortes tours de Danis (voir note) et de la Placette que les moines construisirent là aux 14ème et 15ème siècle.

12 l’économe ou responsable des livres

13 le trésorier

14 le procureur. Il devait enregistrer et conserver tous les papiers concernant les intérêts civils et légaux de cette grande communauté. Son office est quelquefois qualifié de notaire ou « bailli de la curie de Lérins »

15 le bibliothécaire. Comme Lérins était une abbaye bénédictine, un grand travail de copiste et d’étude était effectué, mais jusqu’au 14ème siècle le nombre de volumes dans la bibliothèque conventuelle et du collège était en réalité petit. Il y avait une abondance de calendriers, de psautiers ou livres de chœur mais par exemple les Dominicains de Dijon était riches car au 14ème siècle ils possédaient 140 volumes, dont 29 représentant la formation spirituelle.

16 le responsable du cellier

17 le teneur du registre des bois et forets

18 l’aumônier

19 le maitre des novices

20 le maitre des serfs et laboureurs

21 le jardiner

22 l’ouvrier dont le rôle était équivalent à chef des travaux. La maçonnerie et le toit de la maison étaient sous sa responsabilité.

Chacun de ces personnages officiels avait une équipe sous ses ordres.

Une importante équipe s’occupait du jardin de la cuisine et des vignes. En plus de ces moines réguliers il y avait des frères (qui prononçaient les trois vœux mais n’observaient pas la règle, chargés de petits travaux (hewers de bois et de drawers d’eau - terme biblique) qui s’occupaient du bétail et nourrissaient les porcs et d’autre part réparaient les filets et manœuvraient les bateaux qui naviguaient entre Cannes et l’ile ou même envoyaient de saints messages à Rome.

Cannes appartenait au monastère de Lérins c’est-à-dire que l’abbé était le supérieur féodal et que la ville payait une taxe au couvent sur toutes les procédures. Le blé était taxé à 1/10 ème, le vin à 1/11 ème, le lin et le chanvre à 1/14ème et ainsi de suite, mais d’autre part ce fut un abbé qui ajouta quelques pieds à la jetée et qui construisit la tour sur la Mont Chevalier. En fait toute l’importance et l’intérêt de ce morceau de côte était tellement centré sur le couvent de Saint Honorat que l’on s’étonne qu’une telle maison ait pu un jour tomber en ruine.

Le grand schisme d’occident fut la première chose qui l’abaissa car les papes d’Avignon n‘avaient pas une bonne opinion de lui et ce qui est pire ils inventèrent le système de mettre l’abbaye sous commende. De cette façon l’abbé pouvait être un profane, quelque prince ou baron qui pouvait leur être utile et qui ne rapportait jamais moins qu’un tiers de la location de la maison, mais remplissait ses devoirs avec nonchalance et des compétences limitées.

Vers 1500 cet abus comme beaucoup d’autres atteignit un paroxysme. Comme exemple nous n’avons pas besoin de chercher plus loin qu’un certain Agostino Trivulzio qui fut présenté par le pape Léon X pour le siège de Grasse. Sa nomination n’était pas inappropriée. Grasse était comme Saint Ambroise dit de la Provence « plus italienne que l’Italie elle-même » et l’évêque était issu d’une noble famille milanaise. Mais le même Agostino apparait dans la liste des évêques de Toulon et dans celle des évêques de Bayeux et pendant qu’il était le berger ? de trois sièges français ce pluraliste était aussi abbé commendataire de Nanteuil et de Fontfroide. Il ne visita jamais tellement Grasse et il mourut à Rome où l’on peut voir encore sa tombe dans l’église Santa Maria del popolo. C’est curieux cependant d’entendre la façon avec laquelle il tonna au concile de Latran contre le système de la Commende. Trop d’intérêts étaient cependant concernés par cela de sorte que les abus continuèrent et constituèrent un élément de désintégration, qui conduisirent graduellement mais surement les maisons monastiques à la ruine.

Les moines de Lérins vivaient dans les pires termes avec leur abbé commendataire. Quelquefois ils avaient de bons rapports, mais lorsqu’il arrivait que l’abbé fût un Grimaldi au caractère bien trempé et rusé les rapports étaient très mauvais. Il les traitait simplement comme des serfs attachés au sol de leur fief. Il les changeait et les remplaçait par quelques réguliers de l’ordre des cassinistes ou de Saint Justin de Padoue mais cette sévère mesure n’assurait pas la paix et les querelles continuèrent jusqu’au milieu du XVIIIème siècle.

Les années qui suivirent furent tellement pauvres en conserves. Elles ne produisirent rien d’autre de grand et de bon et le calme qui régnait à la fin à Saint Honorat était moins celui d’une discipline imposée que d’une inaction morale. En 1740 un corps de clunisiens fut introduit mais le sang neuf ne put revivifier une vie qui stagnait pendant que tout autour le monasticisme laissait un monde de conjectures et d’affaires, un monde qui devait naitre pour la lutte

Parmi les protestants il y une idée commune que lorsque la révolution de 1789 arriva, elle trouva les ordres religieux en France inactifs, riches, dépravés et pleins de vaines prétentions. Comme représentant une intolérance ignorante. Ils sont supposés être tombés alors victimes de la juste rage de la populace dont ils avaient volé le pain pour le corps et la liberté pour l’esprit. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité. L’institution était plus des deux tiers morte et les maisons dans six cas sur dix épuisées et condamnées. Il est vrai que depuis bien longtemps la vie paresseuse et égoïste des réguliers ne correspondait en rien au courage, à la simplicité, au travail et à la sagesse de Saint Honorat et de Saint Benoit…

…Les fondateurs avaient fait de leur institution un grand centre pour la vie du pays et religieuse, mais le monde demandait autre chose aux frères pour vivre ensemble dans l’unité…

Cependant une nouvelle philosophie avait des sectateurs. J.J. Rousseau venait juste de polémiquer devant l’académie de Dijon et bien qu’il aurait été difficile de déduire des pages de l’Emile une théorie définie de l’éducation, cependant le livre comme le reste des travaux de Rousseau avait créé par son style et l’enthousiasme héroïque une nouvelle ère de pensées de sympathies de demande de nouvelles aspirations et de nouveaux efforts, quand différentes méthodes à la fois dans le primaire et le secondaire vinrent remplacer les anciennes et quand l’apprentissage ne portait plus sur les plantes dans une cellule…