Mise à jour mai 2023
Elle est arrivée à Menton le 22 mars 1823. Son passage a fait l’objet d’un article de Gwenett Rodi () dans la revue de la SAHM () mais ci-dessous figure la traduction complète du journal de la Comtesse
Page 147 – Menton est une ville de considérable étendue. Son quai est large mais a plus l’apparence d’une esplanade que d’une structure prévue pour les buts qu’il s’est fixés.
Les maisons en occupent un côté ; elles sont construites en pierre et elles
ont sept à huit étages. Au-dessus d’elles on en trouve d’autres construites sur une éminence rocheuse qui constitue le centre de la ville, et la cathédrale avec deux ou trois autres églises peintes de couleurs riches et variées couronnent le tout.
Près des églises se trouvent de hauts palmiers dont les formes pittoresques et le feuillage sombre forment un relief hardi contre le ciel sans nuage, et donnent au tableau un caractère mauresque et frappant.
La vue de la cathédrale est magnifique à la fois sur la terre et sur la mer. Mais je me suis détournée (du spectacle terrestre) avec ses teintes si riches et variées pour voir la magnifique Méditerranée bleue comme le haut des cieux, et parsemée de voiles blanches qui à cette distance ressemblent à des oiseaux fendant l’air.
Nous sommes montés au plus haut de la tour de la cathédrale, notre cicerone ayant avec raison vanté la vue qu’elle offre. Mais il ne nous a pas informés que cette tour est un beffroi et que l’heure de la sonnerie de l’énorme cloche était sur le point d’arriver.
Nous descendions l’escalier en spirale ravis de la perspective que nous avions vue lorsque la terrible cloche s’est mise en mouvement. Je n’oublierai jamais son effet. Les sens étaient étourdis et maudit était le bruit. La tour bougeait à chaque mouvement de son lourd et bruyant invité et vibrait à l’étourdissant carillon qu’elle produisait alors que nous sommes restés subjugués par la terrible clameur et rendus étourdis par le mouvement du bâtiment dont nous étions extrêmement sensibles à chaque coup.
Notre cicerone semblait totalement insensible à ce qui nous occasionnait tant de trouble. Il a haussé simplement les épaules quand il se rendit compte que nous supportions cela avec moins de patience que lui.
Les ruines du château Cupouana (Campanin) constituent une vue très pittoresque de Menton
Placé sur une éminence il domine une perspective sur la ville, ses environs et la mer.
Il est si ancien que sa construction est attribuée aux romains. Il a été acheté pour en faire un cimetière et un secteur est destiné aux restes d’un certain nombre de personnes, soldats et autres qui ont été tués durant la Révolution. Cet entassement d’os est exposé aux éléments et ils servent d’amusement aux enfants qui fréquentent l’endroit. Certains des crânes blanchis, parfaitement blancs sont entourés de façon fantastique dans des chiffons colorés, ce qui n’ajoute pas qu’un peu à leur apparence révoltante.
Des groupes de galopins aux joues roses s’emploient à entremêler des branches de lierre avec des lambeaux de vêtements colorés sur bien des crânes pendant que nous faisons une pause pour les regarder.
L’enfance jouant ainsi avec la mort dans ses sombres aspects offrait un curieux spectacle et ce qu’un peintre allemand aurait aimé portraiturer.
En retournant à l’auberge nous avons rencontré une procession religieuse portant les sacrements à une personne mourante.
Quelques vingt jeunes garçons portant des lanternes bien que le soleil brillât fort, précédaient les prêtres et ses assistants dont l’attitude grave et mélancolique contrastait avec la gaité sans souci avec celle des enfants qui semblaient contents de leur état et de faire partie de la procession. Voir ce groupe se dépêchant, la rapidité de leurs pas indiquait le danger de la personne au soulagement de laquelle ils procédaient, pendant que la nature semblait éclater dans la luxuriance sous l’éclat d’un jour de printemps, sous le climat italien ; les arbres couverts de fleurs, les oiseaux lançant en l’air leurs notes de joie, le ciel et la mer bleus et tranquilles comme un miroir d’azur suggéraient beaucoup de tristes pensées. Oui, au milieu de la renaissance de la nature, quand le ciel e la terre semblaient heureux, un pauvre mortel était sur le point de fermer les yeux pour toujours. Cette ambiance embrasée dans laquelle il a peut-être habité avec plaisir, il ne la verra plus jamais et il aura trépassé longtemps avant que les fleurs qui donnent tant de promesses de fruits ne soient fanées.
En regardant ce magnifique paysage autour de moi et en réfléchissant à la personne mourante, je me suis souvenue du charmant et frappant paysage d’Arcadie par Nicolas Poussin dans lequel une simple tombe près de laquelle se tiennent deux bergers lisant une inscription, cela fait tellement appel aux sentiments « moi aussi je suis un arcadien ».
Le nombre de chapelles sur le chemin est réellement surprenant. On fait à peine un mile sans en voir une, ou une niche avec une peinture ou une petite statue de saint ou un crucifix. Même les portes des champs et des jardins ont chacune une niche au sommet contenant l’image de quelque saint, et chaque pont a une petite chapelle ou un renfoncement destiné au même but.
Les chapelles sur le côté du chemin consistent généralement en une petite pièce ouverte sur la route ou seulement fermée par une porte en treillis
Elles contiennent un autel sur lequel est placé une peinture ou une image et l’autel est couvert de fleurs, humbles offrandes de voisins simples et pieux.
Notre auberge, l’hôtel de Turin, bien que scrupuleusement propre, est dans un état de simplicité primitive valable pour le temps des patriarches mais peu en accord avec notre temps.
Une amusante preuve de ceci nous a été donnée quand notre homme de peine demanda une théière, car notre hôtesse fut toute confuse quand il commença à expliquer le genre d’article qu’il désirait ; elle l’a arrêté en déclarant d’un air orgueilleux qu’elle savait bien ce que cela signifiait car la bonne lady Bute lui en avait offert un que tous les anglais qui s’étaient arrêtés à l’hôtel de Turin avaient admiré, mais qu’à un maudit moment elle s’était cassée en ayant été placée sur le feu pour faire bouillir l’eau.
« Ah Seigneur, j’en étais si fière car il n’y avait jamais eu une pareille chose à Menton jusque-là, mais les accidents ça arrive »
A Menton le costume des femmes est joli et convenable ; les jeunes portent leurs cheveux simplement tressés avec des branches de fleurs sur une oreille ; les têtes des enfants sont arrangées de la même manière et elles ressemblent à celles d’une peinture de Watteau. Les femmes d’un âge plus avancé portent des mouchoirs de couleurs vives autour du cou ainsi que des turbans ou des filets de couleur sombre.
C’est vraiment le seul endroit où notre nécessaire de voyage aurait été nécessaire, mais il avait été embarqué dans les voitures car on nous avait assuré sur la route de Nice que nous n’en n’aurions pas besoin.
Mem. Ne jamais croire ce que les gens me disent au sujet des routes et des auberges, mais toujours prévoir moi-même tout le nécessaire portatif pour le confort et la protection contre de possibles désastres.
J’ai dormi ici pour la première fois sur un matelas rempli de paille de blé indien. Ils n’en utilisent pas d’autre dans ce simple endroit et je me suis reposée aussi bien que sur la plus luxueuse couche. Le matelas consiste en un sac de matériau grossier ouvert d’un côté, que l’on remplit avec une quantité suffisante de paille, et il est rempli de paille fraiche pour chaque nouvel invité.
Comment en Angleterre une gouvernante ne s’étonnerait-elle pas de voir une belle femme se contenter d’un tel lit ? Mais ceux qui voyagent à dos de mulets à travers les montagnes et les landes ne doivent pas être trop difficiles.
26 mars - A environ six miles de Menton sur la route de Vintimille se trouve le pont Saint Louis construit à travers un ravin sur les rochers. Sa hauteur est de 350 à 400 pieds de haut. Il est fait d’une seule arche d’une envergure immense et c’est une construction admirable qui imite les travaux des romains. L’eau coule en cascade dans le ravin en dessous, sur lequel un aqueduc est construit qui ajoute beaucoup au bel effet du pont. Une large et curieuse grotte ou galerie est taillée dans les rochers près du pont mais nous n'avons eu le temps de la voir qu’en passant.
Le pont Saint Louis et l’aqueduc ont été construits sur ordre de Napoléon et serviront comme un monument durable de son esprit hardi et entreprenant. Les voyageurs en France et en Italie auront souvent lieu de rappeler sa mémoire avec gratitude. Car il a rendu bien des voyages faciles et agréables, ce qui sans son aide aurait été un pénible et dangereux pèlerinage.
On peut souhaiter que le Roi de Sardaigne continue la route si admirablement commencée par Napoléon. Mais sera-t-il déterminé à entreprendre cette tâche très utile ; bien des années doivent passer avant qu’elle ne soit accomplie car les travaux ici ne sont que lentement menés.
Il y a environ 8 à 10 ouvriers là où il en faudrait une centaine.
Bibliographie
Blessington (Marguerite Gardiner Comtesse de) - The idler in Italy- Baudry’s european library Paris 1839
Rodi Gwenneth – Le voyage de Lady Blessington à Menton en 1823 - ou pais mentounasc N° 89 mars 1999 – SAHM Société d’art et d’histoire du mentonnais