Point du Ramingao à Roquebrune Cap-Martin

REFLEXIONS SUR LES POPULATIONS PAR CHARLOTTE HAWKINS 1885

Mise à jour aout 2021

 Extrait du live « The maritime Alps » de Charlotte Hawkins (), paru en 1885

 

Traduction des pages 44 et suivantes

 

« …Comme je l’ai déjà dit, les populations locales ne cherchent pas à travailler pour les étrangers. Si vous avez un travail de menuiserie à faire ou de ferronnerie vous devez le faire demander cinq fois au spécialiste et s’il y a un morceau de glace cassé un jour de mauvais temps vous devez vous en remettre à sa salutation sans aucune autre raison que « parce qu’il pleut ».

Pourtant le travail est bien payé. Un mécanicien gagne 4 f 50 par jour et le jardinier qui taille les vignes et met des piquets aux héliotropes s’attend à 3 f par jour ; ou s’il réside dans la villa il demande 550 f par an compris le logement et le fuel. Les contrats sont rarement faits ici à temps et tous les travaux durs sont faits par des piémontais. Ces pauvres gens semblent être les chinois de l’Europe.

Leur nombre est infini. Dans l’hiver 82-83 il y en avait 4000 sur le boulevard de Cannes et bien plus pour les travaux à Cimiez.

Beaucoup d’entre eux ont vécu si longtemps de ce côté de la frontière que non seulement on trouve leurs enfants sur les bancs de l’école, mais un pourcentage d’entre eux ont été appelés comme conscrits ce qui montre que la Provence absorbe de nouveau en elle un flux de sang étranger ce qui va altérer à la fin le type et le tempérament de son peuple.

Ils travaillent tout le jour pour 17 à 25 pence, vivent de pain sec, oignons, oranges, mangent des noix et des pommes et dorment dans des fossés*

Quelquefois Gégé fait une pause après ce vers, alors Pépé siffle une strophe jusqu’à ce que le chanteur recommence

« O quanto voglio bene a chi so io

Il nome non lo voglio palezare

Lo tempo sempre scritto nel cuor mio

Infinche vivo le voglio portare »

 

Alors un compagnon commence un autre chant

« Credo da ver, bell’Isolina

Un cuore senza amore deve morir

Cerca mi in van alla porta di Torino

Senza di te sto io per morir… »

 

Et ainsi de suite indéfiniment

Cependant en dépit de ces purs et jolis chants d’amour, tous les crimes violents qui se produisent mènent invariablement à la porte des piémontais et de terribles cas de leurs furies et jalousies ont été portés à ma connaissance.

Je n’oublierai jamais un prisonnier quand je l’ai vu une fois conduit par la police Place Garibaldi. Il était dans une charrette et embarqué comme un jeune taureau. J’ai demandé à une femme qui se tenait près de là avec une jarre d’eau de couleur verte dans chaque main ce qu’il avait fait. Elle dit que c’était une « sporcheria » et il apparut qu’il venait de tuer sa femme.

Jusqu’à la Révolution de 1848, la grande ambition de chaque paysan propriétaire et des petits bourgeois était de faire d’un de ses fils un prêtre. Cela assurerait Peirone contre la conscription pour laquelle Noel ou Nourat étaient surs d’être convoqués.

C’était ce que la mère disait pendant que pour les frères et la parenté c’était un évènement honorable dans la famille d’avoir un abbé en son sein.

Peirone pouvait rêver d’officier un jour « in pompis » devant un Maitre Autel avec tous les membres de sa famille et le père de Peirone, quand il serait vieux à la retraite trouver sa chaise et la soupe dans quelque presbytère où il y aurait de la place pour lui à côté de Monsieur l’abbé.

Au cours des quarante dernières années, cependant, le nombre de jeunes qui entrent au séminaire a chuté. Le commerce, l’Entreprise et les nombreuses carrières de la vie moderne éloignant les jeunes gens d’un clergé séculaire et paroissial ; pendant que ceux qui se sentaient une vocation particulière préféraient entrer dans quelque ordre religieux. Dans beaucoup de diocèses l’apport du clergé a déjà été inférieur à la demande et maintenant le service militaire est obligatoire même pour ceux qui ont franchi le seuil du séminaire. On peut craindre que beaucoup de postes restent vacants. Certains de ceux existants sont cruellement petits. Même avec l’aide du très apprécié casuel (honoraires pour les baptêmes, les mariages, les décès, les funérailles et les déclarations de décès), le desservant d’un village de l’Estéron doit batailler pour une pitance entre trente et cinquante livres par an. Avec un peu de chance, la municipalité peut améliorer cela par un petit présent.  Mais si le presbytère est un pauvre taudis, dure, très dure est sa situation.

Comme il a toujours un pauvre avec lui, et comme un influent propriétaire terrien est une chose inconnue dans le voisinage, il est difficile de penser qu’il peut économiser un peu de monnaie, et ainsi quand la maladie et le grand âge tomberont sur un tel curé de village, il devra demander une pension de 8 livres à l’administration de l’assistance publique

S’il est bien avec le vicaire général et son évêque, cela peut s’accroitre d’un splendide cadeau de 2 livres sur les fonds du diocèse. C’est pourquoi, il est aisé de comprendre qu’il n’y aura pas une grande compétition parmi les candidats d’une telle profession et facile à comprendre que ceux qui supportent une telle pauvre existence feront payer pour les messes et autres offices quand on leur demande de les célébrer.

Un riche paysan ne va pas dépenser 20 livres pour ses funérailles.

Les cadeaux, les cloches, bougies et ainsi de suite s’élèvent parfois à un montant important.

Dans les villages de montagne autour de Vence, la coutume italienne de transporter le mort avec le couvercle du cercueil ouvert prévaut encore et le coucher de soleil est ici comme en Italie, l’heure habituelle pour les funérailles des pauvres.

A Grasse, bien que le cercueil soit vraiment fermé, le couvercle est drapé comme pour avoir l’air que le corps soit montré. La tête et le voile du défunt présentent une ressemblance frappante avec le visage. Dans le même arrondissement nous sommes récemment tombés sur un exemple d’une superstition singulière.

Dans l’espace de neuf jours et nuits on pense qu’il est juste de laisser la maison, la pièce et le lit du mort exactement comme il l’a laissé.

Durant cette période son retour est considéré comme possible et cela pourrait être considéré comme un manque de tact si quelque chose était changé pour le meilleur ou pour le pire. Comme cette pratique ne peut être défendue du point de vue sanitaire, on peut seulement se réjouir que les jours d’attente ne soient pas ici comme en Russie de quarante jours.

Toutes les habitudes des paysans sont mauvaises pour la santé, depuis la façon d’emmailloter l’enfant jusqu’à ce dernier compliment offert à celui qui est parti.

La variole n’est jamais réellement bannie des villes, mais c’est simplement un miracle que la population ne soit pas en plus mauvaise santé qu’elle ne l’est car les pestes de l’ancien temps comme la lèpre persistante qu’on rencontrait à Eze, prouvait combien on agissait mal avec la maladie.

Quand je suis venue pour la première fois sur la Riviera, j’étais très intéressée par le fait qu’on pouvait encore trouver la vraie lèpre syrienne (Lepra Hebraorum) et je souhaitais voir un lépreux. Enfin dans une foule à la porte d’une église avant des festivités, j’ai été tellement effrayée par la vue des plaques blanches brillantes et par les yeux brulants du plus misérable aspect que je n’avais jamais vu, que j’ai caché mes yeux avec mon manchon et que je me suis enfuie en bas de la colline aussi vite que si la lèpre m’avait poursuivie.

Comme l’éducation s’étend et que quelque connaissance des règlements sanitaires va s’étendre également, on peut espérer que cela va corriger un jour les très mauvaises habitudes provençales.

La mortalité infantile est terrible. Pour des motifs d’économie, les mères en allant travailler, abandonnent leurs enfants à la grand-mère ou à la crèche. A cause de ce système la proportion de ceux qui n’arrivent pas à l’âge où on perd ses dents de lait est énorme.

Le nombre de provençaux qui ne sauront jamais lire ou écrire diminue beaucoup. Les écoles se sont multipliées.

Les communautés rivales se sont consacrées à la cause de l’éducation et dans les régiments, un colonel refusera souvent d’abandonner et de laisser faire jusqu’à ce que ses recrues aient appris à lire.

 

*Note de Ch Hawkins : on ne peut rien dire de plus que de faire la louange des cours du soir organisés en 83-84 pour ces pauvres gens

 

Bibliographie

 

Charlotte Louisa Hawkins Dempster - The Maritime Alps and their seabord

Longmans Green and Co – London 1885

Chapitre XII, page 41et suivantes

https://archive.org/details/maritimealpsthei00demp