GALERES DE SAVOIE


EXTRAITS DE L’EPOPEE DE LEPANTE DE MANUELE

Traduction Françoise Prost                                                mise à jour juillet 2015

L’Organisation de la Marine de Guerre

 

P .44 à 48

LES NAVIRES

 

Il semble que, lorsqu’il arrive en 1559 à Villefranche, le duc ait trouvé un amiral, un superviseur de galère et pas de bateau. Soit dit entre parenthèse, une telle disproportion entre le nombre d’amiraux et le nombre de navires est un problème qui a toujours affligé notre Marine.

Par chance Emmanuel- Philibert, lors de son voyage de Paris à Nice, avait eu la bonne idée d’acheter une galère à Marseille, fait non insolite étant donné que seule une partie des unités destinées à la flotte ducale était construite localement.

Il n’est pas simple, aujourd’hui, de se faire une idée claire des bateaux en service en ce temps là parce que très souvent ils étaient rebaptisés en utilisant un nombre limité de noms, ou ils étaient construits en utilisant des bois encore en bon état provenant de la démolition d’autres embarcations et ainsi de suite.

Comme dans toutes les Marines de l’époque, dans celle de la Savoie les galères se divisaient en deux catégories : les «  légères » avec trois rameurs par banc et les «  bâtardes »  avec quatre (ou plus) rameurs par banc. A cette seconde catégorie appartenaient les navires les plus importants, la « Capitaine » (on nommait ainsi le navire - amiral) et la « Patronne »  la deuxième par importance. Dans les nations gouvernées par un roi « la Capitaine » était dite «  Capitaine Royale ».

Revenant à la flottille en préparation à Villefranche, en 1560, il apparait que quatre unités aient été actives : « La Capitana » («  La Capitaine ») avec 25 bancs et cinq rameurs par banc soit un total de 250 rameurs ; «  La Margarita » («  la Marguerite ») probablement avec quatre rameurs par banc ; « La Piemontese « (« la Piémontaise »)  peut-être le premier bateau construit sur place, et la «  Sole » (la « Soleil »), Française, achetée par le Baron de la Garde. L’année suivante il s’en ajouta trois ou quatre : « La Patronna » («  la Patronne ») avec quatre rameurs par banc et deuxième par ses dimensions après « la Capitaine » ; la « Delfina » (« la Dauphine » ) achetée à Marseille ; la « Moretta » appartenant à ce personnage célèbre(Giovanni Moretto) que nous avions vu arriver à Villefranche en 57 sans bateau et qui, dans les années qui suivirent avait donné ce même nom à une autre embarcation ; et la  « San Pietro » (« Saint Pierre ») achetée par un baron français. En 62 il en acheta une autre connue sont le nom de « la Bastardella » («  la Bâtarde ») en référence à sa typologie.

Il s’agissait donc d’une flottille de taille moyenne pouvant  être évaluée à une dizaine d’unités.

Le Duc aurait voulu s’en procurer d’autres pour arriver au niveau de Cosme de Médicis qui à ce moment- là procédait à l’armement d’une belle flotte mais il lui fallut abandonner l’idée  par manque de moyens.

En ce qui concernait les bateaux construits localement on faisait appel à des Maistrances étrangères, Génoises et Marseillaises.

 

LES HOMMES

 

Le personnel de bord se divisait en trois groupes :

L’équipage, proprement dit, destiné à la conduite de la navigation et à la manœuvre des voiles ; la Chiourme, constituée de rameurs ; et le détachement de soldats destinés au combat. Le nom donné à ce troisième élément est assez significatif en Espagnol «  Tercio ».

Les Officiers, rigoureusement issus de familles nobles étaient les chefs militaires de bord et ils se distinguaient en capitaines et gentilshommes de poupe. Ces derniers étaient des officiers inférieurs, généralement des jeunes recrues orientées vers la carrière navale. En général les Officiers pouvaient être «  di brevetto » (de carrière) c’est-à-dire avoir un grade militaire dans l’armée, ou «  trattenuti » (percevant un traitement) recevant un salaire fixe établi par contrat en échange de leur disponibilité à plein temps pendant un certain nombre d’années. Cela est symptomatique du passage d’une organisation de type féodal dans laquelle les troupes terrestres et maritimes se recrutaient selon les besoins du moment,  à une force stable. Les qualificatifs de  « di brevetto » et « trattenuti » n’étaient pas antinomiques et l’un n’excluait pas l’autre.

Venaient ensuite les officiers de la marine, non nobles, qui s’occupaient des activités de marins non militaires. Ils se divisaient en deux catégories : « i comiti » ceux qui commandaient les quelques marins affectés à la manœuvre des voiles et des rameurs,  et les pilotes qui s’occupaient de la route et de la navigation.

Les chiourmes étaient composées de forçats condamnés à la rame pour des raisons les plus variées, d’esclaves musulmans et de «  volontaires », des miséreux qui ne trouvant pas de quoi joindre les deux bouts, en échange d’un maigre salaire, se vendaient comme esclaves même si c’était  pour une durée déterminée. A la différence des autres rameurs les «  volontaires » pouvaient être libérés de leurs fers au port ou en cas de combat alors qu’en temps de navigation normale, surtout pour des questions de discipline, ils portaient eux aussi des chaînes. Pour comprendre au premier coup d’œil à quelle catégorie appartenaient les rameurs, on utilisait le code d’identification suivant : les forçats  avait le crâne rasé à zéro, les esclaves portaient une petite mèche sur leur crâne rasé, et les « volontaires portaient des moustaches.

Les soldats se divisaient en bombardiers, mousquetaires  (équipés de mousquets) et arbalétriers. Les Turcs de Lépante utilisaient encore des archers.

L’ORDRE DES SAINTS MAURICE ET LAZARE

 

Cet ordre chevaleresque militaire et naval naquit en 1572 de la fusion des deux ordres préexistants  de Saint Lazare et de Saint Maurice. Comme dans le cas de l’Ordre des Chevaliers de Malte dont il copiait les règlements, il avait pour but de défendre la Chrétienté de l’assaut des Turcs combattant sur terre et sur mer. L’année suivante Emmanuel-Philibert, qui en était le Grand Maître, transféra au nouvel Ordre deux de ses galères, «  la Margarita » et la « Piemontesa ».

 

L’EQUIPAGE D’UNE GALERE

 

La composition de l’équipage d’une galère de l’Ordre, avec les différents salaires s’établissait à peu près comme suit 

NOMBRE ET ROLE

30 chevaliers dont un ayant le grade et les fonctions de capitaine Solde : 8,3 écus par mois (100 écus par an) 

40 serviteurs des chevaliers

Solde : 0 (probablement à charge de leurs patrons)

Patron vrai capitaine de mer

Solde : 6 écus

 

Commandant des marins

Solde : 5 écus

 

Ecrivain Comptable, Garde- Chiourme, Barbier 

Solde : 3 écus

Maître d’Armes, Charpentier de Marine, Rémouleur

Solde : 3 écus

Tonnelier, 2 Bombardiers, 2 Conseillers

Solde : 3 écus

20 Marins

25-70 Soldats

Solde : 2 – 2,5 écus

Mousses du Garde- Chiourme

Solde 2 écus

Marins de proue

Solde 1 ,5 écus

Compagnons de solde

1 écu

144 rameurs (4 par rame sur 18 bancs)

Solde 0

 

Le total des personnes embarquées, même sans compter les soldats qui servaient  probablement d’alternative  aux Chevaliers et à leurs serviteurs, tournaient autour de 250 unités. Pas mal si l’on considère que dans des conditions normales le pont supérieur d’un navire était  d’une longueur maximale d’une cinquantaine de mètres, éperon compris, et d’une largeur d’environ sept mètres. Les Galères Capitaines  étaient un petit peu plus grandes, mais le nombre de rameurs  s’élevait à  250. Sur les Galères Capitaines Royales  (les Réales) dès les années 1600 on aurait déjà largement dépassé  les 400 rameurs.

En examinant les dessins, modèles didactiques de cette époque et les copies à l’échelle réelle comme celle, stupéfiante, de la «  Galère Royale »  de Don Juan d’Autriche, qui se dresse fièrement dans « l’Atarazana de Barcelone  »  (Chantier Naval de Barcelone), l’Arsenal couvert  où fut construit l’original, on découvre que sur un banc d’une longueur d’environ 2,3 mètres  les rameurs devaient se tenir à cinq côte à côte, alors que si le  banc  faisait environ 2,5 mètres de long , ils devaient se tenir à six. Cela implique  que dans tous les cas, chaque homme (pour sûr robuste) avait  à sa disposition, non pour se tenir simplement assis mais pour ramer, un espace n’excédant pas les 40-45 centimètres.

Pour rendre possible cet entassement, les rameurs voguaient à bras tendus, sans jamais écarter les coudes ce qui permettait d’exploiter aux maximum le peu d’espace disponible ; ajoutons à cela la stature moyenne de nos ancêtres qui tournait autour d’un mètre cinquante de hauteur et qui pour la largeur des épaules d’un homme normalement constitué était d’environ 42 centimètres.

 

LA NOURRITURE A BORD

 

En ce qui concerne les vivres ils étaient constitués d’une ration de base valable pour les gens de rang inférieur, mais libres (on excluait la chiourme). Cette ration se voyait ensuite multipliée par un coefficient correspondant au grade.

La ration de base se composait comme suit :

Biscuit 24 Onces, ou pain frais 30 Onces, vin une pinte (mesure de Nice), viande une livre trois fois par semaine et l’on en donnera à tout le monde et aux officiers tous les jours s’il y a lieu.

Sardines quatre avec de l’huile et du vinaigre, du  thon saumuré ½ livre deux jours par semaine et les autres jours on donnera ½ livre de fromage.

Les coefficients multiplicatifs étaient les suivants : «  de quatre rations jouissait le Capitaine, de trois le Patron, de 3 le Commandant de bord, de 2 les autres officiers et d’1 et demi les soldats et pilotes (marins) « avantagés ». Les Chevaliers, pour leur part,  avaient droit à une nourriture plus fine.

La chiourme mangeait de la viande et buvait du vin à Noël, Carnaval, Pâques et Pentecôte. Le reste de l’année «  trois fois par semaine ils avaient droit à la soupe (trois onces de riz par tête, ou des fèves) puis tous les jours 2 livres et demi  de biscuit ou 3 livres de pain frais bien cuit. »

PROBLEMES DE COHABITATION

 

Comme nous l’avons vu, les galères étaient plutôt surpeuplées, ce qui entraînait quelques problèmes, surtout du côté des Chevaliers, qui, n’ayant pas grand’ chose à faire sinon en cas de combat, avaient tendance, si l’on peut dire, à étendre leurs compétences, à tel point que l’on dut édicter quelques règles précises, comme la suivante en 1575 : «  les Chevaliers ne devront ni se mêler  ni s’opposer aux décisions concernant la  gouvernance , le règlement et la navigation des galères, laissant aux Capitaines et aux Officiers la tâche qui leur incombera… en aucun cas, sous peine de s’exposer à de lourdes peines,  les dits Chevaliers n’oseront  ni ne pourront se prévaloir  du droit de renvoyer, d’outrager ou de battre les officiers de marine et soldats des galères, laissant aux Capitaines le soin de châtier ces derniers s’ils font quelque chose de répréhensible. »

L’Ordre des Saints Maurice et Lazare étant guidé par des Chevaliers qui, en définitive,  étaient des dilettantes en ce qui concernait les choses de la mer, ne firent pas grand-chose de positif  et quelques années plus tard il restitua les galères à la Marine Ducale.

 

P 64

PIRATES BARBARESQUES (MAIS PAS SEULEMENT)

 

D’après le récit de Gioffredo, sous le règne de Charles-Emmanuel Ier, les galères savoyardes, malgré les lourdes charges qu’elles devaient assumer, continuaient comme toujours la lutte contre les pirates barbaresques qui attaquaient les navires et qui, encore en 1623, mirent à feu et à sang la campagne niçoise. Les navires du Duc réussirent en plusieurs occasions à capturer des navires pirates. En 1593 ils s’emparèrent d’une petite galère turque « y retrouvant  27 jeunes turcs, une dame chrétienne avec trois esclaves masculins. En 1611 ce fut le tour d’une tartane, l’année suivante d’une autre petite galère et ainsi de suite.

Les Barbaresques n’étaient cependant pas les seuls à exercer la piraterie. Quelquefois, comme dans les meilleurs romans policiers, les auteurs des actes les plus cruels  étaient des personnages insoupçonnables. Par exemple, la nuit du 18 octobre 1625 « survint au large  de Nice un assassinat très  notable ». Cette nuit -là « une barque d’Iccelle in Riviera »* fut assaillie par un mystérieux bateau. Les pirates inconnus tuèrent deux des quatre marins, dérobèrent les 300 écus  qui se trouvaient à bord  et « percèrent la coque pour l’envoyer par le fond ». Deux des marins rescapés de l’infortunée embarcation s’enfuirent à la nage et par la suite au cours d’une confrontation «  à l’Américaine », reconnurent l’un des responsables. A la surprise générale, on découvrit qu’il s’agissait d’un membre de l’équipage du « Brigantin » du Gouverneur lequel complétait son travail de fonctionnaire d’Etat avec un peu de travail au noir. L’équipage fut vite arrêté  quasiment au complet et comme personne ne voulait « chanter » (parler), le Sénat jugea  bon d’annoncer qu’il en pendrait un, en attendant ». Le malchanceux se voyant près de la mort se confessa  et démasqua ses complices, qui à leur tour passèrent aux aveux. Comme conséquence il ne fallut pas attendre longtemps pour qu’ils soient pendus et écartelés puis exposés pour répandre la terreur sur les routes ».

 

Note 1 : « La barca d’Iccelle in Riviera ». Gior, mentionne page 132, le 18 octobre 1621 l’attaque d’une barque de « Celle » avec quatre marins. Il s’agit à peu près du même récit malgré le décalage de quatre ans, par suite d’une erreur probable de l’un des auteurs. Celle pourrait être Celle Liguria, entre Savone et Gênes.

 

Note 2 : Actes passibles de peines de Galères. Cette peine venait immédiatement après la condamnation au gibet. Elle pouvait être assortie d’autres peines. Morris () a écrit un article très détaillé sur la Sénat de Nice. Page 134 à 143 il donne des détails sur certains actes délictueux et les châtiments correspondants :

Port d’armes prohibée  Défense  de porter des armes ou d’en avoir chez soi, sous peine de 50 écus et de la confiscation des armes, à défaut 2 ans de galères.

Défense de vendre des armes prohibées sous peine de 5 ans de galères

Faux en écritures  Tout homme sera conduit mitré sur un âne  à travers la ville avec une rame sur l’épaule et on le condamnera aux galères pour 10 ans.

Bandits  Quiconque  sachant qu’il y a  des bandits  dans les Etats sardes  et connaissant le lieu où ils se trouvent  qui ne les signalera pas… encourra  la première fois 50 écus d’or et à défaut  2 traits de corde, et la deuxième fois la peine de 5 ans de galère ou autre selon les circonstances. Celui qui en temps de paix  aura conseillé ou favorisé la désertion, si elle n’a pas lieu, 3 ans de galère….en temps de guerre 5 ans de galère. Les déserteurs seront traités comme des bandits

Coups et blessures  Des blessures graves sont punies de 15 ans de galère

Déserteurs   E. V. subit 3 ans de galère pour avoir pris les armes contre  l’Etat pendant  le séjour des français à Puget Théniers en novembre 1792

(Cette condamnation parait curieuse car les galères étaient déjà abandonnées.  En France l’abandon se situe au milieu du XVIIIème siècle. Il s’agit peut-être d’une condamnation équivalente à terre comme le bagne peut être).

Dans les actes du colloque d'Aoste () on peut trouver également des exemples de condamnations

Note 3: Dans un article très détaillé, Hervé Barelli () raconte les désastres provoqués sur les galères par suite de tempêtes à Nice et Villefranche

 

BIBLIOGRAPHIE

 

       

Barelli Hervé - Journal Nice Matin 9 novembre 2014

Manuele Pierangelo, Il Piemonte sul Mare – La marina sabaudia dal Medioevo all’unita d’Italia, Istituto Grafico Bertello di Borgo S. Dalmazzo, année 1997, ouvrage consultable auprès de l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Maritime de Villefranche sur Mer (ASPMV)

Dossier Internet: galères gondoles et autres

Morris Henri – Le Sénat de Nice – Annales de la Société des Lettres Sciences et Arts, - Tome XVIII 1903  Système pénal – consultable sur Internet

Colloque d'Aoste 25 et 26 octobre 2007 - Justice, Juges  et justiciables dans les Etats de la Maison de Savoie - Recherches régionales 2010 N° 195 consultable sur Internet