BOSSAGES ET FORTIFICATIONS
 

Sur des maisons de village ou des édifices religieux on peut observer des bossages, qui sont parfois hémisphériques. En général il n’y en a qu’un par construction, parfois deux et très rarement plus. L’église de Saint Sauveur sur Tinée dans les Alpes Maritimes en comporte cinq ou six

Sur quelques bâtiments non militaires on remarque des bossages multiples dont on ne sait expliquer la raison.

PR Callens de Cagnes sur Mer(06800), a observé la tour du moulin de Marcigny (71110) datant du XVème siècle, et il s’est interrogé sur la signification des nombreux bossages.

On peut citer aussi le clocher de l’église de Villars sur Var (06710)

 

En ce qui concerne les bossages sur les fortifications, diverses théories ont été avancées qui ne sont pas exclusives les unes des autres d’ailleurs.

On peut remarquer tout d’abord que en comparaison du nombre de fortifications qui sont parvenues jusqu’à nous, le nombre de constructions où ces bossages sont visibles est très limité.

Exemples de Millon:

De gauche à droite:

 

Remparts d'Aigues Mortes

Château de Bougey

Remparts de Langres

 

De gauche à droite:

Tour de Narbonne

Porte de Vezelay

Tour aux Puces

Tour Orval et Narbonne

 

 Dans une revue non localisée, Raymond Millon () a donné des exemples de bossages ou pustules dans des ouvrages militaires du nord est de la France. Il a exposé la théorie suivant laquelle :

« Les bossages seraient censés amoindrir l’effet de projectiles par création de ricochets ou absorber leur énergie cinétique ».

Il donne notamment comme exemple « les tours de Navarre et d’Orval à Langres(52200), qui datent du début du XVIème siècle ».

Sur ces tours les bossages semblent couvrir toute la surface

 

Viollet le Duc () dit au sujet des bossages : « nous voyons certaines bâtisses dans lesquelles on a laissé des bossages bruts sur la face vue de chaque pierre. C’est particulièrement dans les ouvrages de fortification de la fin du XIIIème siècle que ce genre de construction apparaît surtout dans les contrées où la qualité de la pierre très dure ne se prête pas à la taille. Toutes les parties anciennes de la cité de Carcassonne bâties sous Philippe le Hardi ont des parements à bossages ; nous en voyons également vers la même époque à la grosse tour de l’ancien archevêché de Narbonne, à Aigues Mortes etc… »

Il indique également : « les bossages hémisphériques se trouvent souvent sur les parements des fortifications élevées au moment de l’emploi régulier de l’artillerie à feu. Ils figuraient évidemment des boulets »

 La théorie de l’amortissement de l’effet des projectiles est valable si les bossages sont régulièrement répartis sur l’ouvrage.

Ce pourrait être le cas de la porte Saint Jean de Montreuil Bellay (49260), où les lits de pierre sont horizontaux et réguliers et où les bossages bruts sont espacés régulièrement.

Ils sont plus ou moins carrés. Il n’y en a pas à la base de la tour pour éviter probablement l’escalade.

              

Documents Jacques Sigot

De gauche à droite: Château de Saône (Syrie), Château de Bosra (Syrie), Porte de Montreuil Bellay, détail

Porte de Montreuil Bellay, 

 

De gauche à droite

Château de Domme, Krak des Chevaliers (Syrie)

Jacques Sigot, historien de Montreuil Bellay a trouvé certaines similitudes avec la porte de la forteresse de Domme (24250) ; dans cet exemple les bossages sont également régulièrement répartis sur toute la surface des tours et sont de forme rectangulaire avec une platebande autour.

 Selon lui, un auteur du début du XXème siècle aurait dit que la porte de Montreuil présente des similitudes avec celle de Jaffa en Israel.

A Alep en Syrie il y aurait aussi des bossages.

A ce stade de l’étude on peut noter qu’il  semble y avoir des correspondances sur cette question des bossages entre les ouvrages de France et ceux de Terre Sainte, sans pouvoir affirmer que cette technique a été importée en France par les Croisés.

Raymond Million (), émet l’hypothèse que « l’apparence de boulets encastrés dans une muraille de façon aléatoire devait avoir un effet dissuasif sur d’éventuels assaillants dotés d’une artillerie à boulets. Cela revenait à leur délivrer le message suivant : voyez nos murs, ils résistent à vos canons ; les boulets s’y encastrent et n’y font pas de dégâts. Il est inutile de nous assiéger, vous perdez votre temps »

Selon le même auteur : « les bossages en demi sphères à Tournoel dans le Puy de Dôme, occupent la totalité de la muraille »

Le château de Perti en Ligurie italienne au droit de Finale Ligure, est un exemple intéressant, car dans ce cas les bossages en pointe de diamant combinent plusieurs effets. En plus du côté technique de dispersion des éclats.

Photos Luc Thévenon

Luc Thévenon () pense que « les bossages systématisés à ce point et avec ce souci d’effet produit, sont aussi décoratifs, voulant démontrer la puissance, les moyens et la qualité du seigneur ».

La façade de la maison dite « Los Picos » à Ségovie en Espagne est couverte de bossages en pointe de diamant du même style et n’a rien de militaire. Là aussi on peut penser à une manifestation de richesse et de puissance.

Mais R. Million cite un certain nombre de cas où les bossages sont répartis semble t-il de façon aléatoire.

Pour la tour aux Puces de Thionville (57100) du XIIIème siècle, il indique : « on peut distinguer trois bossages en pustules sous la fenêtre obstruée »

Pour la tour Saint Jean de Langres du XVIème siècle, il note : « cet ancien pigeonnier militaire montre plusieurs bossages bien visibles sous le rebord de la partie haute de la muraille »

Au sujet du château de Bougey (70500) du XVIème siècle, il mentionne : « la restauration a respecté les bossages en pustule, nombreux sur la façade de la tour de guet, et dans la partie supérieure de la seule tour d’angle qui subsiste et qui date de 1584 »

Il a noté pour la tour du rempart nord du rempart de Vezelay (89450) : « grande abondance de bossages en pustules sur cette tour qui apparaît comme grêlée ; il n’y a pas toutefois de disposition régulière et les pustules paraissent avoir une distribution aléatoire ».

En ce qui concerne la tour aux engins de Provins (77160), il écrit ; « la porte Saint Jean construite entre 1285 et 1384 présente des bossages ordinaires qualifiés de rustiques dans le livre de Jean Mesqui () »

Raymond Million rapporte aussi un propos de Christian Pfister () qui cite lui même dom Calmet : « A Nancy, le bastion des Michottes construit dans la seconde moitié du XVIème siècle… possédait beaucoup de pierres taillées en forme de boulets, ressemblant à des miches de pain d’où la dénomination de bastion des michottes ; Cette construction n’existe plus….De semblables michottes se distinguent sur les murs en ruines du château de Prény (54230) »

 

Il faudrait élargir le champ des observations pour essayer de tirer une conclusion sur la raison de ces bossages.

Dans le cas des fortifications où ils sont serrés et réguliers on peut penser effectivement à un intérêt pour la dispersion des coups de l’artillerie, mais le peu d’exemples semble indiquer que la protection des forteresses contre l’artillerie passait par d’autres voies.

Dans le cas de bossages dispersés, plusieurs auteurs, comme il apparait ci dessus considèrent les bossages en demi sphères comme la représentation de boulets.

Mais on peut éventuellement penser à la concrétisation d’un vœu de prospérité fait par les maçons pour la construction et sa résistance aux coups, invocation laïque équivalente aux bougies allumées devant les autels des saints.

La différence avec les bossages étudiés dans le chapitre « bossages erratiques et hémisphériques » viendrait alors seulement du nombre sur une même construction.

On a dit que le maçon était récompensé d’une bouteille quand il exécutait un bossage, alors pourquoi ne pas les multiplier. (se non e vero e ben trovato)

 

Bibliographie

 

Mesqui Jean, Châteaux forts et fortifications en France, Flammarion, 1997

 

Million Raymond, les bossages en pustules: une curiosité de l’architecture militaire médiévale, quelques exemples dans l’est de la France, revue inconnue.

 

Pfister Christian, Histoire de Nancy 1909

 

Thévenon Luc, Conservateur en chef honoraire du Patrimoine

 

Viollet le Duc – Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème siècle au XVIème siècle, 1856