LE DOMAINE DU BOIS NOTRE DAME A ANTIBES  - 06600

Mise à jour 2003

1- Historique

 

Le site d'Antibes et celui du Cap d'Antibes ont été occupés depuis des temps très anciens. La chapelle de la Garoupe a été modifiée plusieurs fois à partir d'une chapelle primitive du IVème siècle. Un culte a peut-être été célébré à cet endroit avant l'époque chrétienne, et il est possible qu'une enceinte celto-ligure ait existé  sur cet emplacement stratégique. Le domaine qui fait l'objet de cette étude se trouve au nord du phare et de la chapelle. Il a fait l’objet d’une publication en 2003 (), pages 157 à 172, mais depuis le texte a été remanié.

Cette propriété a été acquise le 27 Juin 1980 par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres

. Le précédent propriétaire était la SCI Notre Dame de la Garoupe qui avait acquis la propriété de Mademoiselle Marguerite Louise Reibaud le 1er Octobre 1973. Elle avait été attribuée à Mademoiselle Reibaud aux termes d'un acte de partage du 1er Octobre 1943 des biens de la succession de sa mère Madame Muterse épouse en son vivant de Monsieur Pierre Marie François Reibaud (notaire), décédée le 13 Février 1930.

Cette propriété de 9 hectares environ faisait partie auparavant d'un domaine plus grand de 11 hectares.

Le 4 Fructidor An V  avait eu lieu le partage entre les enfants de Pierre Guide (1721-1794) et de Madeleine Sandin et la propriété avait été attribuée à Jean Baptiste Guide qui avait eu pour enfant François Guide. Madame Muterse citée plus haut était la petite fille de François Guide auteur d'un poème sur la propriété vers 1840.

Cet acte passé par Maitre Louis Dolle figure dans les Archives Départementales: fonds Reine  3 E 81, protocole 219, folio 73 et suivants.

Les Guide se sont installés à Antibes sous le gouverneur de Provence qui était comte de Tende vers 1530 et la propriété aurait été dans la famille depuis les années 1560/1580.

Un Vincent Guide était viguier et capitaine pour le roi en 1608.

11- Le cadastre napoléonien de 1813

 

 La photocopie de l'extrait cadastral de 1813 est jointe en annexe. On reconnaît bien la propriété, le chemin de la Salis à la chapelle, le rond point, la bastide (908) repère (L) de l'extrait du plan de géomètre, et l'autre bastide (911) repère (M) du plan. Une partie de l'assise du chemin a été modifiée depuis dans la partie ouest du terrain du fait de la clôture  de la partie non cédée au Conservatoire. L'extrait de la matrice cadastrale indique au nom de Jean Baptiste Guide négociant à Nice les parcelles 901 ‡ 913.

901 Bois inculte

902 Masure

903 Vigne

904 Inculte avec quelques oliviers

905 Terrain oliviers

906 Terrain vigne

907 Inculte

908 Bastide et parc

909 Terrain avec quelques oliviers

910 Bois

911 Bastide et cour

912 Terrain oliviers

913 Terrain vigne oliviers

Le cadastre ne mentionne pas d'aire ni de « graissier » dont il sera question plus loin.                                    

2- Les Bastides

 

Sur la partie de terrain restant à la famille avait été construite une bastide  (L) vers les années 1760 donc peu après la fin de la guerre de succession d'Autriche. Cette bastide existe toujours et on peut penser que dans le cours du XIXème siècle le domaine est devenu progressivement une propriété d'agrément. Il s'agit de celle qui est mentionnée au cadastre napoléonien sous le numéro 908. Une autre bastide cadastrée 911 située un peu à l'ouest de la bastide (L) et repérée (M) ne faisait pas partie à l'époque de la propriété. Elle existe encore mais remaniée et agrandie et aurait été achetée par les Guide après 1800

. Sur un plan d'Antibes vers 1760 on distingue bien le chemin qui va de la Salis à la chapelle et une maison qu'il est difficile d'identifier.

3- La guerre de succession d'Autriche.

 

Pendant l'hiver 1746-1747, la ville d'Antibes tenue par les gallispans (franco-espagnols) était assiégée par les autrichiens qui tenaient les hauteurs de la Garoupe et bombardaient Antibes  à partir  d'un point voisin de la pinède actuelle de Juan les Pins.

La chapelle de la Garoupe avait une tour de guet qui aurait été démolie par la foudre dans les années 1850. Elle aurait servi à régler les tirs pendant le siège de 1746.

Des obus tombés trop courts ont d'ailleurs été récupérés dans le secteur du chemin des Sables entre Antibes et Juan les Pins.

Sur le plateau de la Garoupe un lieudit s'appelle encore plateau des autrichiens.

4- Traditions familiales

 

D'après les traditions familiales de la famille Guide, qui a fourni des notables à la ville d'Antibes, des soldats en garnison à Antibes seraient venus travailler dans la propriété  soit pour ne pas les laisser flâner en dehors des contraintes des exercices et causer éventuellement des désordres en ville,  soit du fait de l'influence des membres importants de la famille auprès des autorités militaires pour obtenir de la  main d'oeuvre à bon compte.

Des légendes se sont propagées sur la propriété notamment au sujet du rond point, dans le courant du XXème siècle mais sans réel support historique.

5- L'examen des lieux

Voir aussi le dossier: murs à parement courbe

Quand on parcourt le terrain acquis par le Conservatoire, on peut observer plusieurs vestiges remarquables sur le site:

- des restanques limitées par des murs importants  sur une partie du terrain

- un rond point en partie basse raccordé aux restanques

- des ruines d'anciens bâtiments

- des fondations de baraquements

- des blocs de pierre de taille blancs éparpillés dans la partie haute

La plus grande partie de la propriété reste à l'état naturel à part quelques petits cheminements et la végétation est surtout constituée de chênes mais on trouve aussi quelques oliviers pas très vieux, des pins maritimes et parasol, des oléastres, des lauriers et de la végétation du maquis, notamment.

Un plan de géomètre au 1/500 a été établi en 1971 complété en 1972 par le cabinet Fourcy de Cannes. Ce plan  fait partie du dossier du service des espaces verts de la ville d’Antibes.

La partie basse du terrain constitue un replat dans la pente générale de la colline et en aval de la grande allée qui traverse le terrain dans sa longueur la pente de la colline est de nouveau plus forte.

Le préambule effectué ci dessus aide à l'analyse des  éléments remarquables du site

 

51- Les restanques et les murs qui les bordent

 

Plusieurs constatations s'imposent à leur sujet:

- Elles ont fait l'objet d'une conception d'ensemble car elles sont presque parallèles, recoupées par trois chemins perpendiculaires à pente régulière.

- Leur conception a été volontariste en ce sens qu'elles ne suivent pas strictement les courbes de niveau, contrairement à ce que l'on rencontre habituellement.

 

- Elles ont été exécutées avec beaucoup de soin et par des spécialistes, car les faces vues sont très bien dressées et les retours d'angles également.

- Les murs sont très hauts et très larges et ont une face arrière qui dépasse le niveau de la restanque supérieure. Le tableau ci après donne les caractéristiques des diverses restanques.

- Un des murs de  restanques est tellement haut qu'il est composé de deux plateformes, la plateforme basse ayant servi d'échafaudage pour monter les pierres du mur de la restanque proprement dite (coupe 6.6)

- La plupart des murs de restanques sont à parement courbe ce qui nécessite l'exécution avec un calibre (Voir note No 1) qui donne la courbure régulière constante sur plusieurs dizaines de mètres de long. Le parement courbe relativement peu fréquent permet d'accroître la solidité du mur en donnant un effet de voûte car avec le temps les murs en pierre sèche à parement droit ont tendance à prendre du ventre. Les têtes des murs sont verticales et le fruit moyen de ces ouvrages noté sur le tableau est assez important  (Voir note No 2).

Ces murs ont fait l’objet d’une étude détaillée. Voir à ce sujet :

Un certain nombre de murs à parement courbe ont été observés dans la région et font l’objet d’un autre dossier où sont reprises les caractéristiques des murs de cette propriété.

-  Un retour d'angle est signé par deux pierres ajustées suivant un dessin courbe (coupe 10.10).

- La surface utile dégagée par l'exécution des restanques par rapport à la surface épierrée est faible et le contexte rocheux existant dans les parties restées naturelles  est le témoignage d'un travail énorme car en plus de l'épierrement et de l'exécution des murs il a fallu casser des têtes de rochers en place.

- Les pierres de remplissage  en partie supérieure des murs des restanques  ont été bien ajustées et l'on peut marcher sur la partie supérieure des restanques sans difficulté. 

 

- Ce travail donne une impression d'inachevé notamment dans la partie est et nord.

Le mur de la restanque A est moins bien fini et le dessus moins régulier

La murette B s'appuie sur A et sert d'arrêt au pierrier C

Le pierrier D est un amas aligné en vue peut-être du remplissage d'un mur non exécuté.

La murette E est en maçonnerie plus grossière en partie éboulée

Le mur de la restanque F n'est pas très droit  les parements sont mal finis et il est en partie éboulé.

La murette G est assez grossière

Le mur H est une ébauche mal finie

- La grande allée en partie basse est soutenue par un mur du même style que les murs des restanques dans sa partie centrale sous la murette en béton surmontée d'un grillage.

- Le mur de clôture au droit du portail côté est entre les stations du chemin de croix VI et VII est du même style avec parements intérieur et extérieur courbe et de très grosses pierres de taille. Ce mur sert de soutènement sur quelques mètres au chemin du calvaire.

Tous ces éléments pourraient suggérer que cet ouvrage a été réalisé ou au moins supervisé par des spécialistes dans un laps de temps assez bref.

En ce qui concerne leur datation, on peut éventuellement les rattacher à la période de construction de la bastide (L) soit vers 1760 après la fin des malheurs habituels accompagnant les guerres. En effet autour de cette maison ont été édifiés des murs également à parement courbe.

Rappelons que la guerre de succession d'Autriche s'était terminée le 12 Octobre 1748 par la paix d'Aix  la Chapelle .

Ce type de murs à parement courbe est assez rare. On peut en voir un très beau en dessous du village de Biot sur la route départementale CD4 qui va de la nationale 7 à Biot près du carrefour de la route qui conduit à Sophia Antipolis au droit de la propriété "Le Balcon". Il est daté de 1827. D’autres murs ont été décrits dans le dossier consacré à ce type de murs

52 Le rond point

 

Certaines personnes à Antibes le désignent sous le vocable "rond point des moines" ou "chapitre des moines". Une inscription dans la chapelle de la Garoupe indique effectivement la présence d'un couvent de cordeliers entre 1520 et 1582.

Une voie à l'ouest du terrain s'appelle chemin de l'ermitage.

Cependant l'examen de la maçonnerie montre que la plateforme périphérique qui se raccorde en amont au chemin d'accès aux restanques et en aval à la grande allée longitudinale est bien du même style que les murs restanques mais le rond point proprement dit, dans son état actuel, est beaucoup plus récent.

Il est exécuté en pierres de blocage grossières avec parfois incorporation de morceaux de briques le tout lié par un mortier de chaux de couleur claire. Il semble d'après l'observation des endroits où l'enduit en mortier a disparu que cet ouvrage a été exécuté ou restauré avec un coffrage. La partie supérieure est couronnée par des briques plates  de 25 cm x 14 cm  x 2  cm avec un raccord en mortier côté intérieur. Il semble que certaines chutes de briques de la banquette de 2,5 cm x 11 cm de large ont servi de réglée (Voir note No 3) pour l'exécution de l'enduit en mortier.

A l'intérieur du cercle se trouve un chêne qui serait un rejet d'un chêne qui se trouvait au centre et abattu par la foudre. La tradition familiale ne mentionne pas  d'occupation monastique sur ce terrain.

En ce qui concerne la végétation, l'acte de l'an V mentionne des oliviers, des chênes verts et de la vigne jeune. La matrice cadastrale de 1813  reprend  la même description.

Gressier

Cet acte de l'an V mentionne une aire et un "graissier". Une phrase de l'acte stipule "l'aire et le graissier" et plus loin on parle de "l'aire et graissier". S'agit-il d'un seul ouvrage ou de deux ouvrages distincts?

En ce qui concerne la définition du mot graissier le dictionnaire de Mistral de  1878 Dictionnaire Provençal - Français page 93 donne comme définition  de "Greissié" : Assemblage de claies  sur lequel on fait sécher les figues ou les prunes, cabane où l'on rentre les claies de figues.

Le dictionnaire d'Honnorat page 1129  Dictionnaire Provençal - Français donne  comme définition "Graissier (Greissié)": Assemblage de claies sur lesquelles on fait sécher les prunes.

Ricolfi dans son essai de toponymie (bibliothèque Barbéra à La Turbie ) page 509 indique que le mot dérive du latin craticius,"claie à faire sécher les figues, ensemble de claies, lieu ou petite construction où on les plante". Il cite le nom en 1648 à La Roquette, en 1668 à Contes, en 1702 à l'Escarène, en 1864 à Colomars

Ainsi on pourrait formuler l'hypothèse que le rond point que l'on voit maintenant était primitivement une aire de battage avec un graissier séparé qui aurait disparu ou une aire sur les murettes de laquelle s'appuyaient des claies. Dans l'état actuel il s'agit plus vraisemblablement d'un aménagement d'agrément, lieu de repos ombragé de construction récente (cent ans ou moins)  sur un aménagement agricole  contemporain des restanques.

Sur le plan cadastral de 1813 le rond point figure déjà. Il a pu être reconstruit sous son apparence actuelle sur la base d'une ancienne construction dégradée. Le chemin qui l'entoure et qui se raccorde au chemin perpendiculaire aux  restanques établit un lien entre cet ouvrage et l'exploitation des terres.

En ce qui concerne les cultures, dans l'acte de l'an V on parle de vignes jeunes et d'oliviers, et en 1840 dans le poème cité plus haut, il était question des trésors de Cérès (blé), des « présens » de Bacchus ( vigne) et de l'arbre toujours vert de Pallas (oliviers)

 

53 Ruines de bâtiments anciens

 

Elles se trouvent en partie est du terrain. Il pourrait s'agir d'un ancien bâtiment à usage agricole déjà dénommé masure dans la cadastre de 1813.

Dans l'acte on mentionne un jas, un four et un puits.

Ces éléments n'ont pas été localisés, mais un aqueduc de quelques mètres à l'arrière de la bastide (L) conduisait l'eau de pluie des toitures à un grand bassin semi enterré qui est encore en service.

D'autre ruines figurant sur le plan de géomètre n'ont pas pu être localisées. Une construction surmontée d'une dalle en béton a été obturée par des parpaings en partie est du terrain. Il pourrait s'agir d'un ouvrage de la guerre 1939-1945

Un curieux tas de pierre aux côtés maçonnés en pierre sèche  de 2,50 m  x 2,50 m  et 0,50 m de haut se trouve côté est en (K)

54 Les fondations de baraquements

 

 Dans les années 1930-1940 la partie ouest du terrain était louée à la compagnie des chemins de fer de l'Est  pour leurs colonies de vacances.

Sur le plan de géomètre de 1971 l'emprise au sol  des locaux  situés sur la partie acquise par le Conservatoire représente plus de 2200m2 au sol.

Des baraques se trouvaient également sur la partie du terrain non vendue au Conservatoire.

Cette partie du terrain était isolée du reste par un grillage qui figure sur le plan de géomètre mais que l'on ne retrouve plus. On voit encore la trace de quelques locaux  notamment sanitaires et des bases de poteaux électriques ainsi qu'un cairn maçonné. 

Des familles des anciens jeunes colons viendraient encore en "pèlerinage" sur les lieux des exploits de vacances des anciens.

55 Les blocs de pierre blanche.

 

 Ils se trouvent épars en partie haute du terrain et proviennent de l'explosion du phare à la fin de la deuxième guerre mondiale

6 Conclusion

 

 Un certain mystère entoure cette propriété et les aménagements visibles bien que ne remontant pas à une antiquité très lointaine méritent d'être entretenus et préservés car ils forment un bel ensemble de propriété agricole d'il y a plus de deux siècles.

D’ailleurs, en 2007 l’association APEAE :

 www.apeae.fr

est en rapport avec le Conservatoire de l’Espace Littoral et des Espaces Lacustres et avec la Mairie d’Antibes pour mettre en valeur le site, restaurer les vestiges archéologiques  et le patrimoine végétal.

Notes

( 1 )  Calibre: Pièce de bois ou métallique ayant une forme donnée permettant de réaliser un profil constant, par exemple pour les corniches en plâtre ou en ciment.

( 2 ) Fruit d'un mur: C'est l'inclinaison du parement vu par rapport à la verticale généralement calculé en % par exemple 10/100

( 3 ) Réglée: repères de quelques cm2 exécutés à un niveau très précis pour les sols ou  un aplomb donné pour une façade et permettant d'exécuter ensuite l'ouvrage en tirant la règle entre deux repères.

Bibliographie

Barbès Raoul - Le Bois du Domaine Notre Dame à Antibes , Mémoires de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie Alpes Méditerranée, Tome XLV, 2003