Murs à parements courbes

ALIGNEMENTS DE RESTEFOND - ALPES DE HAUTE PROVENCE


Mise à jour septembre 2016

Préambule

En Amérique du sud, les Nascas ont tracé avec des alignements de pierres, des signes qui  ne sont visibles que d’avion.

Cette civilisation était active entre le 2ème siècle avant JC et le 7ème siècle après JC. Suivant  Danielle Lavallée () page 155 : « Sur le sol dénudé et caillouteux de la pampa désertique de Nasca  (au Pérou), existent d’immenses tracés rectilignes dont le signification reste énigmatique….

Ces « pistes » sont parfois accompagnées de représentations animales réalistes (voir photo H. Stierlin), ici une araignée de 46 mètres de long. L’existence de ces dessins figuratifs qui se retrouvent sur les céramiques permet d’attribuer les géoglyphes au peuple nasca. »

Au Brésil, selon un film présenté à l’exposition « Brésil Indien les arts des amérindiens », au Grand Palais à Paris au printemps 2005, il semble que encore en 1995 les indiens Enawéné Nawé dans le Mato Grosso procèdent à des alignements d’objets et tracent des alignements au sol dans un but probablement rituel.

Dans les Alpes de Haute Provence, au nord du col de la Moutière et du col de la Bonnette de Restefond, à la limite des Alpes Maritimes, on peut voir le même type de tracés . Il s’agit de  décembre 2015 symboles militaires, insignes de régiments ou autres tracés suivant le même procédé, visibles de plusieurs centaines de mètres, et qui sont intéressants à la fois sur le plan archéologique et artistique. Ils ont été exécutés à titre de passe temps, et font penser au « land  art » dont il sera question plus loin.

Voir aussi un article de Philippe Lachal et Clotilde Niederlander ()

Historique

Avant 1947, la frontière entre la France et l’Italie ne suivait pas la ligne de crête  et le secteur Pont de Paule-Isola, dans la Tinée constituait un point faible pour la défense de la frontière.

En particulier des troupes italiennes pouvaient essayer de remonter le cours supérieur de la Tinée pour pénétrer dans la vallée de l’Ubaye. D’ailleurs en 1940 des tentatives en ce sens ont été effectuées.

L’ Etat Major français a donc décidé de fortifier notamment les cols de la Moutière (2454m) et de la Bonnette de Restefond (2715m), ainsi que d’autres emplacements dans cette zone dont la description n’entre pas dans le cadre du présent dossier, et d’occuper le terrain ainsi équipé.

Des dates sont inscrites à divers endroits. Il semble que le début de la construction des blockhaus date de 1933, date inscrite sur une borne, associée au 5 ème et 6 ème RTM. La date de 1934 est indiquée à plusieurs endroits, associée au 4ème régiment du Génie, et au 28 ème Régiment de tirailleurs tunisiens. D’autres signes sans dates sont associés à la Légion Etrangère et au 15 ème bataillon de chasseurs alpins.

Note:

Un document est en cours de préparation pour 2017 avec des photos prises au moyen de drones par François Breton, attaché au Parc National du Mercantour, service territorial Ubaye Verdon.

Il a déjà fait paraitre un article dans la revue  "Toute la vallée" N° 69 décembre 2015, sous le titre "des geoglyphes en Ubaye"

Premières gravures

         

 

        

Dès le début du XXème siècle le site a été occupé, et Marc Endinger a photographié  et positionné sur un plan plusieurs panneaux gravés du style que l’on trouve à différents endroits comme par exemple aux granges de la Brasque , au col de Braus, etc…

Ainsi on a des preuves d’occupation du site à partie de 1904, et notamment en 1924 (159ème RIA 3ème bataillon, 4ème génie, gravure N° 2 en partie disparue et qui se trouve désormais selon Marc Endinger dans un bâtiment militaire au dessus de Briançon). En dessous de cette plaque se trouve une autre plaque (1904-1905, 14 ème 28 ème 30 ème bataillon de chasseurs à pied détachement du 4ème Génie). La référence N° 1 du plan est la gravure sur un rocher ( RF  28ème bataillon de chasseurs 4ème génie 159ème RIA).

La référence N° 3 correspond à un gros rocher gravé en bordure de l'ancienne route d'accès  au camp de Restefond (14ème BCA 6ème Cie 1905)

La référence N° 4 concerne deux stèles côte à côte (celle du 28ème bataillon 4ème Génie avec un cor de chasse) et celle indiquant (1904 sergents Barrouillet Aillaud Duchamp)

  

Description des alignements

Visite du septembre 2003 : Henri Guigues, Henri et Marie Maurel, Paule Joelle Picco, Raoul Barbès

Visite du 28 juin 2007 : Henri Guigues, Christian Lautier, Raoul Barbès

Les signes sont constitués par des pierres brutes recueillies sur place, plus ou moins encastrées dans la terre et l’herbe selon l’ancienneté.

En épaisseur et dans l’état observé en 2007, il y a une ou deux pierres superposées, au maximum. La largeur des « traits » des dessins peut aller jusqu’à 40centimètres.

Ils ont été exécutés pour être visibles depuis les casernes ou cantonnements, et on peut les déchiffrer jusqu’à 500 mètres de distance.

Le dessin de la Moutière

 

Il se  trouve au sud ouest de l’abri de la Moutière à 500m environ de celui-ci à vol d’oiseau sur les pentes de la rive gauche du vallon de la Braissette.

Il se compose d’un casque vers la gauche, surmontant une cuirasse avec un chiffre 4 dans un G avec des pointes (pour quatrième régiment du Génie), et en dessous la date de 1934.

L’espace occupé par le dessin est de l’ordre de 150 m2.

 

Une plaque sur l’abri semi enterré mentionne « caserne souterraine 4 Rég Génie et en dessous 28 ème RTT, 1934 »

Une borne du genre kilométrique  devant l’abri mentionne sur la face 4ème Génie 1933-1934 , sur un côté 5ème, 6ème RTM et sur l’autre 28 ème RTT

Une table d’orientation carrée  devant l’abri indique sur sa face plate diverses distances avec des flèches, et sur les flancs des mentions en partie effacées dont  « pelle…. voilà nos armes », et « abri de la Moutière »

En contre bas du col de la Moutière se trouve la « pierre d’Annibal » dont le nom est peut-être associé à un Comte de Beuil, et tout autour on peut observer des traces rondes correspondant aux alignements de pierre en pied des marabouts servant de cantonnement provisoire aux troupes en manœuvre, avec des restes d’allées empierrées pour la circulation.  Cet ensemble autour de la pierre d’Annibal n’avait qu’un caractère utilitaire.

Sur la pierre une plaque en mortier de ciment indique « 28 ème RTT CM2 1934 »

Les dessins devant les casernes de Restefond

 

Au sommet arrondi de la montagne au sud des casernes, et à l’ouest du faux col de Restefond,  on peut voir à une distance de 400 m environ des casernes un grand cor de chasse, avec pavillon à droite et à l’intérieur le chiffre 15 sans date.

Selon des officiers de chasseurs alpins rencontrés sur place, ce signe concerne le 15 ème bataillon de chasseurs alpins actif dans ce secteur avant et au début de la deuxième guerre mondiale.

Au sud des casernes et à environ 200 mètres, dans la même direction, deux grandes étoiles à cinq branches dont les côtés font 10 mètres et la largeur de branche 40 cm, très encastrées dans la terre sont séparées par une distance de 2 mètres.

Selon Marc Endinger, l’étoile à cinq branches était l’insigne des section d’éclaireurs skieurs

Il n’y a qu’une ou deux pierres en épaisseur

En dessous  la date de 1934 n’est pas très lisible. Les chiffres ont une hauteur de 1.50m environ. Les étoiles seraient également liées aux chasseurs alpins.

Au sud est des casernes une mention isolée  de 1.50m de haut et 4 mètres de large indique « 3 ème RG »

A l’est des casernes et à 100 mètres environ, se trouvent plusieurs signes.

Le plus haut est composé d’un croissant avec à l’intérieur un fenec , tête à gauche. En dessous de l’animal mais dans le croissant, est inscrite la mention «  28 RTT », difficilement lisible, dans une bande de 2.60m par 13.30m.

Le croissant correspond grosso modo à un cercle de 22 mètres de diamètre. Le dessin des pointes du croissant semble avoir été repris. La base du croissant a 3 mètres de largeur. Ce signe, étant donné l’encastrement dans l’herbe pourrait aussi dater de 1934.

Sur la photo de droite on peut voir l'insigne du 28ème RTT

 

 

A gauche du croissant un signe composé d’une ellipse avec des rayons de 6 mètres de haut et 2 mètres de large, et à droite une sorte d’aile, pointe en haut de 12 mètres de haut et 4 mètres de plus grande largeur, semble récente, peut-être inachevée, et n’a pu être déchiffrée.

Un autre signe sous le croissant est associé à la Légion Etrangère.

Il comporte à la base un cercle de 7mètres de diamètre, au dessus du cercle une sorte de bague avec deux feuilles qui retombent de part et d’autre , le tout surmonté d’une flamme symbolisée par 5 traits. La longueur de cette flamme est de 17 mètres et la largeur maximum de 6.50 mètres. La disposition des pierres de la flamme donne l’impression qu’elles ont été posées récemment, mais il peut s’agir d’une restauration sur des éléments plus anciens.

 

En dessous, on peut lire en lettres majuscules « LEGION ETRANGERE ». Cette mention fait 26 mètres de long et 2 mètres de haut, et encore en dessous on peut observer au moins trois lignes qui sont  parallèles entre elles et non à la première.

La ligne supérieure est illisible.

La seconde Indique en lettres majuscules « NANTES », dans une bande de 11 mètres sur 2.50 mètres de haut.

Les lignes inférieures sont très dégradées et illisibles.

A droite du dessin relatif à la Légion Etrangère, et à quelques mètres,  on peut voir une étoile à 5 branches du même style que les deux autres mentionnées plus haut, mais avec des bras de 8 mètres environ et une largeur de dessin de 30 cm, qui pourrait être plus récente que les deux autres.

A droite de ces signes  a été remarqué un triangle de 3 mètres de base et 18 mètres de haut, qui ne semble pas être un affleurement naturel et n’a pu être interprété.

Lors de notre visite du 28 juin 2007, trois officiers de chasseurs alpins, non accompagnés de soldats, ont dispersé des pierres dessinant une ancre de bateau, dans le secteur entre le croissant et les deux étoiles. Ce signe a été photographié juste avant sa démolition.

Ils ont indiqué que ce signe correspondait à des troupes de l’Infanterie de Marine, qu’il avait été exécuté récemment par des stagiaires, et qu’il n’avait rien à faire dans cette zone.

Cet acte pose la question de savoir à partir de quand un témoignage prend une valeur archéologique   

Commentaires

La condition militaire, et notamment le service national on été souvent associés à des manifestations identitaires, par exemple au moment du Conseil de Révision.

On peut observer à certains endroits des panneaux de conscrits qui font l’objet d’un autre dossier.

Michel Truttmann (), page 20, s’est intéressé aux bas reliefs en pierre et notamment à ceux qui ont été sculptés dans le rocher aux granges de la Brasque

Henri Pellegrini () page 29 et suivantes, a étudié les gravures sur rochers d’insignes militaires italiens dans la région de Tende.

Il s’agit ici d’un autre type de témoignage, probablement collectif, volontaire et admis par les autorités, de troupes qui disposaient de temps libre. Ces dessins manifestent un sens artistique certain et un sens des proportions dans le tracé, pour pouvoir être vus de loin.

Il n’y a pas de végétation à ces altitudes sauf une herbe rase, mais ces signes risquent d’être dégradés par les intempéries et par le passage des troupeaux de moutons.

Ce dossier et les photos associées, est une contribution à la conservation du témoignage  fragile laissé par des militaires.

On voit également des traces de camp autour de la pierre dite d’Annibal et qui témoignent de la façon dont était organisé un camp de toile militaire avant 1940.

Ce camp comportait une vingtaine de tentes rondes avec des allées de circulation empierrées, autour du rocher où devait se trouver le mât des couleurs.

Luc Thévenon () page 53, mentionne et commente ces structures, en faisant un rapprochement avec le « land art ».

Il écrit notamment : « Land Art, ce terme apparu en 1969, désigne l’œuvre d’artistes voulant rompre avec le circuit traditionnel des musées et du marché de l’art. Quittant l’atelier traditionnel, ils vont aller travailler dans la nature qu’ils prétendent être un lieu d’expérimentation comme un autre. Là, ils tentent d’utiliser, ou même de transformer  des sites naturels, généralement sur de grandes échelles , dans des lieux inaccessibles au public. »

N’est ce pas ce qu’ont voulu faire des soldats il y a une soixantaine d’années ?

Bibliographie

Lachal Philippe et Clotilde Niederlender - marquages, inscriptions, graffiti, peintures murales militaires en Briançonnais et Haute Ubaye - Editions du Fournel - Editour 2009

Lavallée Danielle, Arts de l’ancien Pérou, Art millénaire de l’Amérique, Fondation Maeght

Pellegrini Henri, les insignes gravés des Alpini dans la région de Tende, Merveilles Fontanalbe, Archeam N° 7, saison 1999/2000

Thévenon Luc, Le land art des unités alpines, Sourgentin N° 165, janvier 2005

Truttmann Michel, Bas reliefs militaires Géants, Sourgentin N° 103, Octobre 1992